Retraites: Bruxelles pousse la France à faire des milliards d’euros d’économies

La Commission européenne s’appuie sur une étude du think tank libéral Ifrap pour inciter la France à réduire ses dépenses de retraite. Plus de 5 milliards d’euros pourraient être dégagés sur les régimes des fonctionnaires en 2022.

Et si Emmanuel Macron profitait de la grande réforme des retraites à points de 2019 pour revoir à la baisse les dépenses de pension ? C’est en tout cas ce que lui suggère la Commission européenne. La France doit « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes », écrit-elle dans une récente « Recommandation » qui doit être validée le 13 juillet par les ministres des Finances européens.

« Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, relève-t-elle, un système de retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. »

Pour appuyer sa requête, la Commission européenne cite une « étude récente » qui estime qu’un alignement des régimes de retraite des fonctionnaires sur ceux du privé « réduirait de plus de 5 milliards d’euros les dépenses publiques à l’horizon 2022 ».
Une mention qui a surpris nombre de spécialistes des retraites à Matignon et Bercy. « J’ai cherché mais je ne vois absolument pas de quelle étude il s’agit, confie un haut fonctionnaire. Il est d’ailleurs étonnant que Bruxelles ne cite pas sa source. » En 2015, les statisticiens du Conseil d’orientation des retraites avaient conclu, eux, que « les règles du privé s’avéreraient plus avantageuses que celles du public pour un peu plus de la moitié des fonctionnaires nés en 1958 et moins avantageuses pour l’autre moitié ».

Trouver d’ici 2022 environ 26 milliards d’économies

Vérification faite, c’est une étude du think tank libéral Ifrap, dirigé par l’essayiste Agnès Verdier-Molinié, qui a inspiré les hauts fonctionnaires de Bruxelles. Publiée en février, l’étude est intitulée « Trajectoire 2018-2022 : baisser les dépenses pour alléger la pression fiscale sur les entreprises ». Elle préconise que la France trouve d’ici 2022 environ 26 milliards d’économies supplémentaires par rapport à l’effort déjà prévu par le gouvernement. Et, sur ce total, la réforme des retraites rapporterait quelque 5,25 milliards d’euros.

Dans le détail, l’Ifrap suggère une série de mesures qui ciblent toutes les fonctionnaires. La première consiste à supprimer purement et simplement les possibilités de départs à la retraite anticipée dont bénéficient actuellement plus de 700.000 fonctionnaires. Parmi eux, il y a 128.000 policiers, 27.000 gardiens de prison, 40.000 pompiers ou 393.000 infirmières et aides soignantes d’hôpitaux. Une piste explosive socialement…

Alors que ces personnels peuvent en théorie partir à la retraite dès 52 ou 57 ans – mais partent en réalité à 58 ans et 9 mois en moyenne pour cotiser le nombre d’années nécessaires à une pension suffisante -, le think tank propose de les basculer dans le régime commun. Leur âge légal de départ à la retraite serait donc repoussé à 62 ans, sauf aménagements liés à la pénibilité de leur travail comme dans le privé. D’après les calculs de l’Ifrap, la mesure rapporterait quelque 2,1 milliards d’euros.

Vraie-fausse « économie » de 2,8 milliards d’euros

Deuxième proposition : l’extension des cotisations salariales payées par les fonctionnaires à leurs primes, actuellement non soumises à cotisations. Là encore, la piste est loin d’être anodine. Elle se traduirait par une baisse non négligeable du pouvoir d’achat des fonctionnaires puisque les primes représentent en moyenne 22 % de leur rémunération totale. Une vraie-fausse « économie » de 2,8 milliards d’euros qui découlerait en fait d’une augmentation des prélèvements obligatoires supportés par les fonctionnaires. A cela, le think tank ajoute l’alignement sur le privé de la majoration de retraite pour trois enfants et des dispositifs de réversion, qui généreraient à elles deux quelque 300 millions d’euros d’économies.

Sur le fond, difficile de savoir si le gouvernement reprendra à son compte de telles mesures dans sa réforme des retraites de 2019 et cherchera à réaliser des économies. « Cette réforme se fera à enveloppe constante », a assuré le 30 mai dans Le Parisien Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissaire chargé du dossier. « Nous dépensons beaucoup pour notre système de retraite, souvent plus que nos voisins, a de son côté déclaré Emmanuel Macron le 13 juin, mais nous n’avons, malgré toutes les réformes de nos prédécesseurs, pas réussi à installer totalement la viabilité de ce système dans la durée. »

Une chose est certaine, les recommandations de la Commission européenne « sont toujours le résultat d’échanges nourris avec les gouvernements nationaux et d’un savant dosage entre ce qu’ils nous proposent et ce que nous préconisons », observe un habitué des négociations européennes. L’avenir dira de quel côté penche la balance pour les régimes de retraite des fonctionnaires.

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