Ce dimanche, les autorités sanitaire et politique indiennes ont approuvé deux premiers vaccins: celui d’AstraZeneca – déjà autorisé par le Royaume-Uni et l’Argentine – et celui de la société indienne Bharat Biotech, baptisé ‘Covaxin’. Cette dernière n’a pourtant pas terminé la phase 3 des essais cliniques, normalement indispensable avant de pouvoir obtenir un feu vert.
L’autorisation a été accordée par le Central Drugs and Standards Committee (CDSCO), l’autorité sanitaire indienne. Son directeur, le docteur V.G Somani, a indiqué que le Covaxin était ‘sans danger’ et qu’il ‘provoquait une réponse immunitaire robuste’.
Il a également expliqué que l’approbation du vaccin indien, corrélée à celle du vaccin d’AstraZeneca, permettrait d’avoir ‘plus d’options pour les vaccinations, en particulier en cas d’infection par des souches mutantes’, insistant sur le fait que le Covaxin était ‘sûr à 100%’ et que des effets secondaires ‘tels qu’une légère fièvre, des douleurs et des allergies sont courants pour chaque vaccin’.
Dans la foulée, les autorités politiques du pays ont tôt fait de mettre en place la distribution du vaccin ‘maison’ à travers tout le pays. Le Premier ministre Narendra Modi s’est félicité de l’arrivée sur le marché d’un ‘game changer’. Mais ce n’est pas au goût de l’opposition et, surtout, de certaines pointures scientifiques indiennes.
‘Aucune donnée sur son efficacité n’a été publiée’
Bharat Biotech indique avoir débuté la phase 3 de ses essais cliniques, qui consiste à administrer le candidat-vaccin et un placebo à des milliers de volontaires afin de vérifier son efficacité et son ratio bénéfices/risques, à la mi-novembre. Cette étape n’est pas encore terminée.
De plus, les données des phases 1 et 2 n’ont pas été publiées de manière complète. Ce qui a conduit plusieurs acteurs majeurs de la communauté scientifique indienne à faire part de leurs inquiétudes.
‘Nous demandons que l’organisme de réglementation (rende) publiques toutes les données et analyses qui ont été à la base de ces décisions, dans l’intérêt de la transparence et du bien-être du public avant que ces vaccins ne soient mis en circulation’, a déclaré Malini Aisola, co-directrice de l’All India Drug Action Network (AIDAN), un groupe de la société civile qui prône une politique rationnelle en matière de médicaments. Le réseau s’est dit ‘choqué’ et a demandé une révision de cette autorisation.
Notons que l’AIDAN déplore également un manque de transparence concernant l’autre vaccin approuvé par les autorités indiennes, celui d’AstraZeneca. Dans ce cas-ci, elle demande la publication de davantage d’informations sur le vaccin, sans pour autant remettre directement en cause son approbation.
De son côté, la Dr Gagandeep Kang, considérée comme l’une des meilleures expertes indiennes en épidémiologie et en vaccinologie, a déclaré au journal Times of India qu’elle n’avait ‘jamais rien vu de tel auparavant’. Se disant ‘confuse’, elle a ajouté qu’‘il n’y a absolument aucune donnée d’efficacité qui a été présentée ou publiée’.
La Dr Kang a ajouté que cette approbation éclair serait de nature à renforcer les doutes – déjà bien ancrés auprès de certains Indiens – quant à la réelle efficacité et aux dangers des vaccins. ‘A quel point nous sommes différents de la Russie et de la Chine? Je n’en ai pas la moindre idée’, a-t-elle déclaré.
Notons que, contrairement à l’AIDAN, la Dr Kang n’a pas émis de griefs envers l’approbation du vaccin d’AstraZeneca. Pour être complets, précisons encore que l’Inde fabrique elle-même ses propres doses du vaccin britannique, qui porte là-bas le nom de ‘Covishield’. Si les données relatives au Covishield manquent encore de clarté et de complétude, celles portant sur le vaccin développé au Royaume-Uni sont, d’après la Dr Kang, suffisantes pour autoriser sa version indienne.
Deuxième pays le plus touché du monde
Depuis le début de la pandémie, l’Inde a enregistré plus de 10 millions de cas sur son territoire et a recensé près de 150.000 décès liés au Covid-19. Cela fait d’elle, d’après les données officielles communiquées par les autorités, le deuxième pays le plus touché du monde par le coronavirus, derrière les Etats-Unis.
En accordant une autorisation d’urgence au Covishield et au Covaxin, le gouvernement indien espère pouvoir enfin enrayer le développement du virus sur son territoire. D’autres vaccins, dont le Russe, devraient suivre dans les prochaines semaines. D’ici le milieu de l’année, l’Inde compte vacciner 300 millions de personnes, sur une population totale de 1,3 milliard d’habitants.