L’Union européenne travaille à l’adoption d’une directive qui obligera les États membres à pénaliser, notamment d’une peine de prison de plus de cinq ans, les violations et l’aide à la violation des sanctions adoptées contre la Russie.
Analyse. Avec son nouveau paquet de sanctions, en cours d’étude, l’Europe «démocratique» et «libérale» veut désormais obliger les États membres à utiliser contre leurs propres citoyens l’appareil répressif, dont ils sont les seuls détenteurs légitimes, non pas pour défendre l’intérêt national, mais l’ordre global.
Comme il est bien connu, les sanctions adoptées contre la Russie fonctionnent à merveille. Les économies européennes, qui avaient déjà été lourdement impactées par la gestion fanatique de la crise covidienne, n’ont même pas eu le temps d’en sortir pour être désormais noyées dans la guerre des sanctions, qui accompagne le conflit en Ukraine.
Et l’on note en Europe une inflation record en avril, jamais vue depuis le début de l’euro : 8,1% dans l’Union européenne, avec une poussée à 24,5% pour la Hongrie, et 6,9% pour la France, qui traîne à la 11e place.
L’économie russe, elle, qui a l’habitude de se développer sous sanctions, ne s’est pas effondrée, les magasins ne sont pas vides, la population n’est pas affamée et elle ne s’est pas révoltée contre le pouvoir. Bien au contraire, le soutien populaire apporté à la Russie dans ce combat existentiel du monde russe ne fait que renforcer le patriotisme dans le pays.
L’Union européenne, fille aînée de l’Atlantisme combattant, ne peut reconnaître ce simple fait : les sanctions ne fonctionnent pas. Mais l’Union européenne, fille aînée de l’Atlantisme combattant, ne peut reconnaître ce simple fait : les sanctions ne fonctionnent pas. Elle ne peut reconnaître ni son erreur, ni encore moins celle de ses maîtres outre-Atlantique.
L’explication trouvée est alors évidente : si les sanctions ne fonctionnent pas comme prévu, c’est parce que certains aident les Russes à les contourner. Il faut donc durcir le ton, à la guerre comme à la guerre, et eux-mêmes les sanctionner.
Bref, les États doivent partir à la guerre contre leurs propres citoyens. L’impératif de l’ordre global atlantiste l’exige et cela ne se discute pas. Une directive a donc été élaborée dans les couloirs européens, afin de conduire les États membres à modifier leur législation nationale en vue de pénaliser la coopération avec la Russie. Ainsi, peut-on lire en présentation :
«Le projet de directive définit les actes que les États membres devront ériger en infraction pénale. Parmi les actes que les États membres qualifieront d’infractions pénales figurent : aider des personnes qui font l’objet de mesures restrictives de l’Union à contourner une interdiction de pénétrer sur le territoire de l’UE, faire le commerce de biens soumis à interdiction et mener des transactions avec des États ou des entités visés par des mesures restrictives de l’Union.»
Plus concrètement, il s’agit de pénaliser les actes commis intentionnellement, «dans la mesure où ils équivalent à une violation d’une interdiction ou d’une obligation énoncée dans une mesure restrictive de l’Union ou dans une disposition nationale mettant en œuvre une mesure restrictive de l’Union, lorsqu’elle est requise au niveau national […]. La directive ne devrait couvrir que les violations graves. Elle ne devrait donc pas s’appliquer aux violations impliquant des fonds, des ressources économiques, des biens, des services, des transactions ou des activités d’une valeur inférieure à 10 000 euros ».
Les auteurs de ces infractions peuvent être des personnes physiques ou morales et le lien avec l’État membre, devant déterminer la compétence des institutions nationales, est interprété de manière très large. Entrent dans cette catégorie, non seulement la réalisation directe de l’infraction, mais également l’incitation, l’aide ou la tentative.
L’échelle des peines est elle aussi très large et va des amendes aux peines d’emprisonnement. Les législations nationales sont contraintes de prévoir ces peines de cinq ans au plus pour les infractions de plus de 10 000 euros et de cinq ans minimum pour les infractions de plus de 100 000 euros. Et afin d’aider à faire du chiffre, la directive demande que les législations nationales permettent de regrouper les infractions commises et de cumuler ainsi le préjudice… pour faciliter le seuil de 100 000 euros.
L’on appréciera également l’incitation à la délation, délicatement énoncée sous la formule de protection des «lanceurs d’alertes».
L’UE accapare de nouveau la souveraineté des Etats membres
Sans entrer dans le détail de ce texte, trois éléments nécessitent une attention particulière. Tout d’abord, rappelons que la matière pénale ressort traditionnellement des compétences régaliennes de l’État, qui est le seul à détenir le monopole de la violence légitime. Quand cette directive définit le domaine de ces nouvelles infractions pénales, la manière de les évaluer et fixe le minimum de la peine encourue, l’UE entre de plain-pied dans le domaine de l’État et se pose alors la question de la fameuse subsidiarité.
Ce principe est censé, dans le monde idyllique de la globalisation, laisser planer le voile de l’illusion sur la souveraineté des États, puisque le niveau global n’intervient que… lorsqu’il se considère plus apte. Le pouvoir du Prince à l’époque globale. Tel est ici le cas (voir page 21 de la directive), quand l’UE décide elle-même qu’elle est plus compétente que les États pour déterminer la responsabilité pénale des citoyens de ces États, osant violer son ordre global et continuer malgré tout à collaborer avec la Russie.
l’Union européenne, ne disposant pas des moyens juridiques ou institutionnels contraignants à l’égard des personnes physiques ou morales liées aux États membres qu’elle veut punir ou menacer, veut obliger les États à sanctionner pénalement eux-mêmes leurs citoyens pour ce crime de lèse-majesté, à savoir ne pas s’être soumis à l’ordre global – et non pas national. Les hérauts d’une Europe fédérale, c’est-à-dire d’une Europe devenue État, qui implique donc la disparition juridico-politique des États européens (existant depuis le XVe siècle et la fin de la féodalité) devraient réfléchir aux implications d’une telle transformation radicale du continent européen.
Nous sommes face à un système quasi-totalitaire, comme la globalisation l’implique.
Nous avions vu la corruption galopante des institutions européennes lors de la gestion covidienne, aujourd’hui nous ne pouvons pas ne pas remarquer leur élan guerrier. Les peuples sont loin de ces élites, aucune démocratie n’est possible dans une configuration aussi large. Le mode de gouvernance des institutions européennes est celui de l’imbrication régionale globaliste, aucune voix alternative n’est possible : nous sommes face à un système quasi-totalitaire, comme la globalisation l’implique.
Et cette directive en est une illustration. Enfin, la directive est prévue pour agir sur le long terme. Il ne s’agit pas d’une mesure de circonstance, mais bien de la volonté de mettre en place une nouvelle réalité juridique. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les dernières mesures, concernant son entrée en vigueur et ensuite l’obligation annuelle de rapport d’exécution, qui incombe aux États.
Ainsi, selon l’article 18, les États ont une année pour transposer la directive, c’est-à-dire la recopier dans l’ordre juridique interne. Et l’article 19 met en place un véritable système de flicage des États, devant rendre des comptes très précis sur leur chasse aux sorcières.
Comment monter les bûchers sur la place publique, s’il n’y a pas de sorcières ?
Le conflit ukrainien, pour rendre les Etats plus dociles encore ?
«Les États membres transmettent chaque année à la Commission les statistiques suivantes sur les infractions pénales visées aux articles 3 et 4, si elles sont disponibles à un niveau central dans l’État membre concerné : a) le nombre de procédures pénales engagées, de rejets, d’acquittements, de condamnations et de procédures en cours ; b) les types et niveaux de sanctions infligées en cas de violation des mesures restrictives de l’Union.» (article 19, alinéa 2). Cela, sans oublier les statistiques détaillées, année par année, pour chaque État, ce qui doit permettre à la Commission européenne d’établir une évaluation de ce mécanisme… dans cinq ans.
Du point de vue européen, combien de temps doit durer le conflit mené en Ukraine contre la Russie ? A moins de considérer que l’Occident atlantiste entre dans une guerre de Cent Ans contre la Russie, ce qui n’est pas à exclure, l’on peut aussi penser qu’il utilise largement ce conflit pour terminer son œuvre d’évidement des structures étatiques en Europe, ce qui permet de les rendre encore plus dociles. Tout en leur faisant porter la responsabilité politique de ses propres décisions.