Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, décrit une France désormais atomisée, éparpillée façon puzzle.
Jérôme Fourquet : (…) Certes, il n’y a jamais eu d’homogénéité pure et parfaite en France, mais ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est une hétérogénéité sans pareille puisqu’elle est notamment de nature ethnoculturelle.
L’émergence de quartiers ou de sous-quartiers communautaires est une règle que l’on observe dans toutes les sociétés multiculturelles.
(…) Nos études le montrent : pour les Français, la question des équilibres démographiques est désormais centrale et les taraude de manière plus ou moins aiguë : qui est majoritaire à un endroit donné ? Une interrogation que nos concitoyens n’avaient pas il y a cinquante ans.
Et cette question se décline. Qui est majoritaire dans ma ville ? Mon quartier ? Mon immeuble ? A l’école ?
Car dans les zones de contacts entre différentes communautés se pose une autre question majeure : quelles sont les règles qui prévalent ? En plus du cadre légal, il existe dans nos sociétés tout un ensemble de règles non écrites, d’habitudes, de coutumes, qui portent sur les relations hommes-femmes, le style vestimentaire, l’alimentation, et permettent de vivre en bonne intelligence.
Dans nos enquêtes, on le voit : les gens – qui, pour certains, peuvent être eux-mêmes issus de l’immigration, italienne ou portugaise, par exemple – assistent sidérés à l’allongement des rayons halal dans les grandes surfaces et en déduisent : « Nous ne sommes plus chez nous. »
(…) N’y a-t-il pas un multiculturalisme d’en bas et un multiculturalisme d’en haut, les plus aisés pouvant s’organiser des « corridors » pour ne pas avoir à rencontrer « l’Autre » ?
C’est intrinsèque au multiculturalisme. Tout le monde ne le vivra pas de la même façon en fonction de son niveau de revenus. Mais il est là. Or beaucoup ne le reconnaissent pas. Nous vivons en fait dans une société d’archipels.
Les Yvelines illustrent cela à merveille. On y trouve Saint-Germain-en-Laye, ville de CSP+ dans laquelle une partie de l’élite a développé un habitus postnational avec des familles en transit entre deux expatriations et dont les enfants sont scolarisés au prestigieux lycée international avant de partir en Erasmus.
On y trouvera également Saint-Nom-la-Bretèche, autre commune bourgeoise, plus traditionnelle, où l’on cultive l’entre-soi. Et à un jet de pierre de là, Trappes. Le département abrite aussi Magnanville, où fut égorgé ce couple de policiers par un djihadiste originaire de la ville voisine de Mantes-la-Jolie.
Magnanville incarne ces zones pavillonnaires pour classes moyennes avec des familles souvent non issues de l’immigration ou issues de l’immigration en voie d’ascension. Tandis qu’aux confins des Yvelines, on aura des communes très rurales, peuplées d’ouvriers et d’employés « de souche ».