Le discours historique national contre la cancel culture

Thierry Saint-Germes revient pour Russie politics sur l’importance et le détricotage du discours historique national français et l’affaiblissement de de la France face à la globalisation et à la cancel culture, qui l’accompagne.

Les ambiguïtés d’un roman national

D’emblée, l’idée de discours historique national intrigue. Qu’entend-on par Nation ? Que met on derrière ?

Guizot, homme politique et historien français du 19ème siècle la définit comme « une multitude d’hommes ayant la même origine, vivant dans le même État et sous les mêmes lois ». En principe, ces critères sont cumulatifs ; mais on voit bien que des personnes ayant la même origine peuvent vivre sous des lois différentes (diasporas, minorités nationales, émigrés) tandis que des gens d’origines différentes peuvent vivre sous les mêmes lois (DOM-TOM en France, immigrés).

L’histoire impose donc des dosages et la conception française (celle du contrat social) fait porter l’accent sur la problématique des lois tandis que la conception historiciste allemande fait porter l’accent sur la problématique de l’origine ethno-culturelle.

La question du discours historique national est un terrain fertile de débats et de querelles enflammées dans la plupart des pays puisqu’à travers lui, c’est la légitimité de l’élite dirigeante qui est en jeu. C’est pourquoi, à aucun moment, le peuple n’est invité à dire l’histoire qu’il est en train d’écrire. Des savants et experts appointés divulgueront — en temps utile — au peuple le sens qu’il faut donner et ce qu’il doit penser des moments historiques qu’il aura vécu.

Élaborer un discours historique national, c’est élaborer un mythe à des fins politiques (cohésion nationale, aujourd’hui destruction de la cohésion nationale, légitimation de la domination).
A ce titre, tout discours historique national est au moins partiellement artificiel et le contrat « national » entre un État et ses sujets est partout et toujours une entreprise d’ingénierie sociale visant à modeler ou à remodeler du lien social.

Mais, bien qu’il ne soit pas autorisé à élaborer le discours historique national, le peuple supporte les aléas de cette histoire dans sa chair.

Il est donc porteur d’une certaine mémoire historique nationale.

Pour que cette mémoire historique nationale se traduise en sentiment national, il faut que :

  1. La mémoire nationale soit autorisée
  2. Qu’une communauté du peuple existe pour l’incarner

Ainsi à la suite du procès de Nuremberg, la mémoire nationale allemande a été couverte d’anathèmes, puis confisquée – au même titre que le discours historique national – par une élite compradore. La communauté du peuple allemand ne devait plus jamais avoir voix au chapitre y compris dans la mémoire intime des souffrances causées par la seconde guerre mondiale.

Quelle peut-être la qualité du sentiment national en France ?

Elle est nécessairement faible, car elle souffre d’un délitement identitaire : au lendemain des hécatombes de la première guerre mondiale, la France était déjà le premier pays d’immigration au monde. Quelque soit son degré d’intégration, le fils ou petit fils d’immigré ressent une solidarité confuse avec le malien fraîchement débarqué de son bateau.

En outre, la mémoire historique française est depuis près d’un siècle une douloureuse mémoire de vaincu.

Ces facteurs contribuent à l’évanescence et à l’effritement du sentiment national.

Reste la question du discours historique national 

Le détricotage du discours historique national en France

La France avait jusqu’à il y a peu une position singulière en Europe et dans le dispositif de l’alliance atlantique.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une alliance informelle entre gaullistes et communistes issue du Conseil National de la Résistance « cogérait » l’indépendance et la souveraineté nationale (et par suite le roman national) sur un fonds d’anti-américanisme diffus.

De Gaulle qui, selon ses propres termes, a « recréé la France à partir de rien » (cité dans « 1962, année prodigieuse » de Bertrand Le Gendre, Denoël 2012) a forgé le mythe d’une France résistante qui a accédé dès 1945 au statut de discours historique national.

De Gaulle n’a pas cherché, il est vrai à recréer une France réelle, dont il savait qu’elle n’existait plus (« Ah ! que la France serait belle sans les Français ! » ; « Les Français sont des veaux », etc.), mais une France institutionnelle en état de fonctionner.

Il a recréé l’État – à partir de rien en effet – mais a été finalement impuissant à redonner vie à la Nation.

Les premiers coups portés au mythe gaullo-communiste du CNR l’ont été en 1968, les « révolutionnaires » — en réalité rejetons de la bourgeoisie — s’en prirent concurremment au gaullisme et à un Parti communiste français réputé stalinien. En l’espèce, c’est le PCF qui a volé au secours de de Gaulle !

Mais il faudra attendre encore une vingtaine d’années pour pervertir définitivement le discours historique national français.

En 1981, Mitterrand est élu Président de la République ; il doit donner des gages aux américains qui exigent des garanties concernant l’arrimage de la France à la coalition atlantique.

Pour cela, il va falloir dissoudre l’axe gaullo-communiste et, ce faisant, détruire le roman national.

En 1984, Mitterrand instrumentalise un leader d’extrême-droite en quasi-retraite (il représente alors moins de 1% du corps électoral) en mettant les médias à sa disposition. Jean-Marie Le Pen devient l’Emmanuel Goldstein (cf le roman dystopique 1984 d’Orwell) de la politique française et diabolise par contagion tout discours historique national qui ne serait pas victimaire ou ethno-masochiste. Toute référence au patriotisme et à l’identité nationale devient suspecte de fascisme.

C’en est terminé du PCF et du gaullisme historiques qui entraînent le discours historique national dans leur chute.

Chirac enterrera lui-même le roman national français avec son discours du Vel d’Hiv en 1995

Une nouvelle fausse conscience émerge, sorte de fiction humanitarienne pour « citoyen du monde » aussi éloignée que possible de la France concrète. Toutes les distorsions entre le discours historique et la mémoire historique deviennent possibles (cf les « origines musulmanes de la France » du même Chirac, « Il n’y a pas de culture française » – Emmanuel Macron, « Toutes les musiques se valent » — Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture)

La parole nationale diabolisée et déconsidérée, la France peut enfin embrasser la mondialisation heureuse promise par Alain Minc.

Face au globalitarisme et à la cancel culture

A l’échelle mondiale, survient la fin de la guerre froide, dans laquelle les américains veulent voir la fin de l’histoire.

Ils entreprennent alors de programmer le citoyen du monde, sorte de dernier homme nietzschéen, pur alien hédoniste domestiqué par la consommation.

Débarrassée de toute opposition politique sérieuse, une camarilla de banquiers centraux, de CEO de corporations transnationales et de hauts fonctionnaires (fusion de l’État et du grand capital financier dans un néo-capitalisme de connivence) prend les manettes de la gouvernance globale.

Cette nouvelle caste managériale nomade – celle qui se fréquente, parcourt le monde, parle la même langue (le globish) et finit par « partager plus de dénominateurs communs qu’elle n’en a avec ses concitoyens respectifs » (Michel Geoffroy) – cherche, sous bannière humanitaire, à imposer aux peuples occidentaux ce que Paul Virilio qualifiait de globalitarisme, cette « mondialisation des affects » niant l’existence même des cultures et civilisations.

Le relativisme et le révisionnisme historique deviennent la norme et la matière première des « valeurs » inclusives.

Le globalitarisme vient toujours d’en haut, jamais de la base, Il s’agit de l’idéologie dominante, idéologie élitaire qu’il ne faut pas confondre avec l’idéologie majoritaire qui est celle du peuple.

Ce qui est nouveau dans ce projet de domination, c’est le piratage, voire le remplacement du discours historique national par un discours historique mondial (les droits humains sans frontière, la santé (microbes) sans frontière, le terrorisme sans frontière, l’urgence climatique sans frontière, les migrations sans frontière et, last but not least, l’histoire sans frontière) qui justifiera la gouvernance mondiale par une élite hors sol.

Le néo-discours historique mondial s’appuie sur des comportements de masse primitifs (dé-éducation, déculturation, sauvagerie sociale – cf la guerre du Nutella dans les grandes surfaces) de populations déracinées.

Il s’appuie techniquement sur la mutation numérique de nos sociétés : ni l’histoire ni le monde réel ne comptent plus, puisque, in fine, ce sont les médias et les maîtres de l’algorithme qui les fabriquent.

Netflix et le Metavers (via nos avatars) réécrivent notre Histoire et nos légendes tandis que des historiens de cour (« Histoire mondiale de la France » de Patrick Boucheron (2017, éditions du Seuil)) mondialisent les récits historiques nationaux

Mais la mondialisation n’est pas aussi heureuse que prévu et voilà qu’au tournant des années 2000, les peuples se révoltent : vote contre le projet de constitution européenne en 2005, Brexit, Trumpisme, gilets jaunes, etc.

Le divorce des peuples avec l’élite transnationale est consommé tandis que l’État apparaît de plus en plus en occident comme un corps étranger à la Nation.

La nouvelle bourgeoisie manageriale cherche alors à transformer l’Occident en colonie pénitentiaire.

Les moyens employés :

  1. le renforcement du contrôle social par la surveillance électronique
  2. L’encouragement systématique des tendances entropiques dans la société par la multiplication des conflits horizontaux (immigration massive, illettrisme, laxisme judiciaire, féminisme, mariage homo, etc.). L’élite évite ainsi les questions plus dérangeantes pour elle sur la légitimité de sa domination.
  3. la promotion d’un nihilisme agressif : la cancel culture qui consacre la « destitution des grands signifiants symboliques » (morale, religion, patrie, tradition) et la dislocation de l’identité des États-nations.

Lorsque Janet Yellen parle de « mondialisation entre amis » et Joseph Borrell d’une Union Européenne comme « jardin entouré par la jungle », nous devons comprendre rideau de fer et prison des peuples.

Nous sommes en train d’expérimenter le régime de l’indigénat sur nos propres terres et la commission européenne est devenue l’administration coloniale d’une Europe occidentale en voie de décivilisation.

A cet égard, l’effondrement de la mémoire historique ne vient pas de nulle part : le très officiel protocole de Lisbonne conçu par la technocratie européenne dispense les populations scolaires des apprentissages fondamentaux pour fabriquer jusqu’à 90% de « crétins » incultes et parfaitement interchangeables (cf « La fabrique du crétin » de Jean-Paul Brighelli).

L’Union européenne détruit délibérément la mémoire des peuples y compris dans ses expressions artistiques (disparition des œuvres littéraires des programmes scolaires et promotion du nihilisme brutal de l’art contemporain) et monumentales (destruction physique des lieux de la mémoire : lieux de cultes, statuaire, paysages, etc.).

La cancel culture ne date pas d’hier : elle n’est que la version vulgaire du néo-primitivisme des élites transnationales. Volet métapolitique du projet de domestication mondialiste, elle est d’autant plus agressive que la mondialisation recule partout dans le monde.

Pourtant, seules les églises du siècle passé (médias, cinéma, école) sont à ce jour entièrement normalisées. L’Internet sera donc le lieu de notre guerre culturelle.

Celle-ci doit s’attaquer frontalement à l’américanisation et à la dé-civilisation de nos sociétés car les deux phénomènes vont de pair. 

La Russie a pris sur elle de mener cette guerre ; elle est aujourd’hui le pôle de la résistance mondiale au pandemonium occidentaliste.

L’exemple du régiment immortel né des glaces sibériennes est important en ceci qu’il s’agit d’un mouvement parti de la base du peuple et non du sommet de l’Etat. Un peuple y affirme son être au monde en convoquant toutes ses générations (dont les morts qui « gouvernent les vivants ») dans un défilé.

Pour cela, la Russie dispose d’un peuple :

  • Conscient de lui-même car n’ayant pas subi le lavage de cerveau mondialiste
  • Doté d’une mémoire historique de pays vainqueur 

Les Européens, ethno-masochistes et déconstruits, peuvent-ils encore offrir au monde d’autres défilés que des gay-prides inclusives ?

Le roman national est l’antidote au mondialisme et les peuples dotés d’une mémoire historique ne seront pas programmables.

L’enjeu de l’élaboration du discours historique national n’est donc en rien académique : il est existentiel.

Il s’agit de savoir si nous voulons persister dans notre humanité de chair et de culture ou si nous acceptons un destin de donnée chiffrée dans le big data. Le discours historique national, fragile et nécessaire, est un pied de nez aux algorithmes de la post-modernité pourrissante…

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