La guerre des Tribunaux pénaux internationaux : pour l’Ukraine et pour … la Russie

Le Conseil de l’Europe vient d’être lancé pour que les pays membres présentent leurs derniers hommages au monde global et que, in fine, ils déclarent la guerre à la Russie, puisqu’ils sont sommés de créer un Tribunal pénal international devant enquêter sur les « crimes » soi-disant commis par la Russie en Ukraine (et uniquement eux), afin de donner une apparence civilisée à la condamnation politique des grands responsables politiques et militaires russes. Ils veulent tuer la Russie en touchant Poutine.

C’est le scénario yougoslave, adapté aux circonstances, même si la situation est loin d’être aussi simple. La Russie, elle aussi, a commencé à monter des dossiers et à établir des structures pour juger les crimes commis par l’armée ukrainienne. Ainsi, une phase juridico-politique s’ajoute à la dimension militaire, alors que le conflit commence à se diffuser.

En principe, les Tribunaux internationaux sont mis en place par les vainqueurs, pour juger les vaincus, comme ce fut le cas à Nuremberg. Le TPI pour l’ex-Yougoslavie fut déjà une caricature, puisqu’il a été créé très tôt pour accompagner le conflit et (ré)écrire l’histoire de ce conflit au fur et à mesure de son déroulement.

Quand le Conseil de l’Europe appelle aujourd’hui les pays membres à créer un Tribunal international pour l’Ukraine, devant juger … la Russie, nous sommes globalement dans le même processus, plus politique, que juridique, devant affermir le discours politique dominant, qui doit rester sans alternative, avant même toute victoire militaire. 

Le Conseil de l’Europe a publié hier un communiqué, qui a fait l’effet d’un choc. Un élu polonais à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été à l’origine formelle du mouvement et l’assemblée, profondément russophobe depuis des années, a suivi.

« L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a appelé tous les États membres et observateurs de l’Organisation à mettre en place de toute urgence un tribunal pénal international ad hoc, qui devrait recevoir « mandat d’enquêter et d’engager des poursuites » pour le crime d’agression qui aurait été commis par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie

Un tel tribunal devrait « appliquer la définition du crime d’agression » établie par le droit international coutumier. Basé à Strasbourg, compte tenu des synergies qui pourraient exister avec la Cour européenne des droits de l’homme, il devrait avoir le pouvoir d’émettre des « mandats d’arrêt internationaux sans être restreint par l’immunité » de l’État ou des chefs d’État et de gouvernement et autres représentants de l’État, a affirmé l’Assemblée. »

Ainsi, ce Tribunal ad hoc, c’est-à-dire spécialement créé pour l’occasion, a des ambitions très élevées : juger, et évidemment condamner, les dirigeants politiques et militaires russes. Rien de moins. Mais, en général, avant d’atteindre les dirigeants, il faut des exécuteurs et à ce jour, ils n’ont évidemment personne. Des déclarations, à ce point exagérées juridiquement, doivent donc avoir un autre but et l’on reviendra justement sur ce but.

Pour l’instant, restons un instant sur les aspects juridiques. Il est vrai que le monde atlantiste est en manque de support légal à son action de mise en accusation juridique de la Russie. La Russie, comme les Etats-Unis, n’a pas reconnu la Cour pénale internationale.
Donc, tous les recours qui sont lancés par l’Ukraine contre la Russie devant cette instance et toute l’activité de cette instance contre la Russie ne peuvent être juridiquement utilisés contre la Russie dans le cadre de la CPI. C’est d’ailleurs pourquoi les Etats-Unis ont déclaré ne pas y participer.

Et le rapprochement des institutions de l’UE, dont ni l’Ukraine, ni la Russie ne font partie, avec la CPI pour ses enquêtes en Ukraine laisse songeur. Ils sont hors de leur juridiction, ils ont dû modifier leur statut pour se donner à eux-mêmes cette compétence. Nous sommes donc dans une démarche politique, qui a de grandes difficultés à s’inscrire dans un cadre juridique plus ou moins « normal ».

L’Ukraine aussi ne reste pas inactive et est très bien conseillée. Le Procureur général ukrainien a mis en examen pour atteinte à l’intégrité territoriale ukrainienne le président de la Douma, Volodine, et les 418 députés russes. Au Canada, la Chambre de commune a voté la culpabilité de la Russie, puisque désormais la culpabilité ne se prouve pas mais se vote, quant à la commission de crimes de génocide en Ukraine.  Ils participent ainsi à la constitution d’une action politico-juridique multiforme.

C’est pourquoi, utiliser le Conseil de l’Europe, dont la Russie sort mais n’est pas encore sortie car elle traîne, est le cadre idéal pour donner une apparence juridique aux déclarations politiques et pour légitimer les « preuves  » fabriquées et sélectionnées. Il pourra coopérer avec la CPI, avec Eurojust, il a la CEDH pour assister. Sans oublier le recours possible à la compétence universelle des juridictions nationales – sous pression de leurs gouvernements, comment pourraient-elles résister ?

Cette course intervient alors que la Russie a déjà créé un Tribunal social international pour l’Ukraine, dont je fais partie, et qui réunit des éléments de preuves des crimes commis par l’armée ukrainienne et les transmet aux juridictions nationales. Lors de la dernière réunion de ce Tribunal, une association à Donetsk, qui met en forme les recours devant la CPI contre l’Ukraine, déclarait qu’ils étaient systématiquement retournés, sans examen.

La Russie, elle, est dans une démarche strictement juridique et monte des affaires pénales contre des exécutants très concrets, ses enquêteurs travaillent sur place, contre ceux qui tirent sur les cibles civiles, qui utilisent des armes interdites par les conventions internationales, etc.

La différence d’approche, classique pour la Russie, politique pour les Atlantistes, souligne la spécificité de la démarche lancée par le Conseil de l’Europe. Car au-delà de la démarche visant à créer un Tribunal … en fait pour la Russie, il s’agit d’obliger les pays membres du Conseil de l’Europe à rompre toute relation avec la Russie, in fine à lui déclarer la guerre.
Car quelles relations seront possibles entre les pays, lorsque les dirigeants en Europe, suivant les injonctions anglo-saxonnes, auront signé un mandat d’arrêts contre Poutine, Volodine, Lavrov, Choïgu, les députés, les généraux, etc. ?

Depuis le début du conflit, l’on note une diatribe extrêmement agressive des dirigeants des institutions européennes, qui jouent aux chefs de guerre, mais les dirigeants nationaux restent plus calmes, même s’ils sont complètement engagés dans le combat contre la Russie.

A eux de bien réfléchir et de se demander s’ils sont réellement prêts à lancer leur pays en guerre contre la Russie … contre leurs propres intérêts nationaux. Car monter ce Tribunal revient à une déclaration de guerre. Et c’est exactement ce que cherchent les Etats-Unis

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