Selon les deux tiers de la population, l’exécutif français n’a pas été à la hauteur dans la gestion de l’épidémie de Covid-19. Pourquoi les Français sont-ils plus critiques que leurs voisins européens à l’égard de leur gouvernement? Le politologue et essayiste Guillaume Bigot analyse ce désamour profond pour Sputnik France.
Alors que le déconfinement débute en France à partir de ce 11 mai, un sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info a posé plusieurs questions à un millier de Français, 500 Britanniques, 500 Italiens, 500 Espagnols et 500 Allemands.
Il s’agissait notamment de savoir si ceux-ci pensaient que leur gouvernement avait été «à la hauteur de la situation» dans la crise liée à la pandémie de coronavirus. Et le résultat s’avère désastreux pour la France, dont seulement 34% de la population ont une opinion favorable de l’action du gouvernement d’Édouard Philippe.
Poser cette même question aux cinq pays européens les plus durement frappés par la crise semble pertinent à l’aune du nombre de victimes.
En Italie (30.595 morts) ou en Grande-Bretagne (31.587 morts), 50% et 63% de la population juge respectivement de façon favorable l’action de leur gouvernement.
Avec 7.369 décès, le gouvernement d’Angela Merkel a été approuvé par 60% des Allemands.
Des résultats au rebours de ceux observés en Espagne et en France, qui sont très critiques envers leur gouvernement, Madrid affiche le taux le plus bas, avec 32% de satisfaits.
Ces deux pays partagent d’ailleurs un nombre de décès brut relativement semblable, autour des 26.000 victimes, pour, il est vrai, environ 20 millions d’habitants en plus en France.
Cette étude, réalisée les 5 et 6 mai, a proposé les affirmations suivantes aux sondés: «le gouvernement a dit la vérité aux habitants», «pris les bonnes décisions au bon moment», «a fait ce qu’il fallait faire pour équiper les hôpitaux et les soignants», «a montré qu’il savait où il allait» et «a été clair». Pour les Européens, ces propositions ont recueilli en moyenne 43 à 46% d’approbation, contre seulement 23 à 25% chez les Français.
L’«inconséquence» du gouvernement
Guillaume Bigot est politologue et auteur de La populophobie ou le gouvernement de l’élite, par l’élite et pour l’élite (à paraître chez Plon en septembre 2020). Pour cet ancien conseiller de Charles Pasqua, la crise n’a fait qu’amplifier une perte de confiance dans l’exécutif déjà présente avant la crise.
«Qu’il y ait eu, comme dans beaucoup d’autres pays, une impréparation, c’est un fait. Qu’il y ait eu des erreurs commises dans des situations complexes, c’est un autre fait. Mais comme le rappelle bien le sondage, les dirigés dans d’autres pays peuvent accepter cela.
Ce que les dirigés ne peuvent pas accepter, c’est que le gouvernement montre son inconséquence, sa légèreté, qu’il en accuse la population et qu’il essaie de la rouler dans la farine, ça, ce n’est pas possible.»
Comme l’Allemagne, l’Italie ou la Grande-Bretagne, la France aurait également bénéficié d’un sursaut, d’un «réflexe légitimiste, consistant pour la population à se grouper autour de quelque chose qui rappelle symboliquement l’autorité, c’est-à-dire le pouvoir exécutif.»
Une réaction classique en temps de crise, qu’il s’agisse d’attentats terroristes ou a fortiori de guerre. Ainsi, le politologue rappelle-t-il l’épisode de la Première guerre du Golfe, qui a bénéficié à François Mitterrand.
Plus récemment, la popularité de François Hollande s’est passagèrement améliorée durant les attentats terroristes de 2015. Selon le tableau de bord IFOP-Fiducial pour Paris Match/Sud Radio réalisé après les attentats du 13 novembre, la cote de confiance du Président de la République de l’époque avait grimpé de 22 points, atteignant la barre des 50% d’opinions favorables.
Les ratés de Macron face à l’épidémie
S’il admet que les Français sont un peuple «difficilement gouvernable», Guillaume Bigot n’épargne pas cette «caste» qui dirige le pays depuis des dizaines d’années, constituée d’«énarques liés au CAC 40, qui ne projettent plus la France sur l’avenir».
Depuis 2017, celui-ci distingue enfin trois séquences, peu à l’avantage du Président de la République: l’affaire Benalla, les Gilets jaunes et cette crise sanitaire et économique très grave, qui risquerait de compromettre définitivement sa réélection.
«Oui, il y a aura des conséquences drastiques lors de la prochaine Présidentielle, c’est-à-dire que la question pour Emmanuel Macron n’est plus d’être réélu, même si on dit qu’en politique tout est possible et que les phénix renaissent de leurs cendres, mais la question pour Emmanuel Macron, c’est de finir son quinquennat. S’il arrive à finir son quinquennat, c’est déjà le bout du monde.»
Au lieu d’être renforcée, la légitimité de l’exécutif s’est effritée, observe Guillaume Bigot, qui explique ce résultat «contre-intuitif» par le fait que «pour exercer une autorité, il faut respecter ceux que l’on dirige»:
«Toute crise a normalement pour effet de renforcer le lien avec la population, à une seule condition, c’est que la population attend une protection du gouvernement, un effet d’autorité. L’autorité est absolument incompatible avec le mépris, le mensonge, ou la volonté de manipuler l’opinion.
C’est bien évidemment le mensonge sur les masques, les mensonges répétés sur les tests, les tentatives de manipulation extrêmement grossières de l’opinion publique par le gouvernement qui ont non seulement affaibli la parole publique, mais qui ont considérablement fragilisé le lien de légitimité.»
Ainsi, le politologue fustige-t-il les hauts-fonctionnaires, les «sachants» qui dirigent la France comme «dans une relation hiérarchique, s’adressant à des administrés», expliquant qu’«on n’a pas besoin de savoir toute la vérité».
Les deux axes de la politique d’Emmanuel Macron, consistant à «adapter la France à la globalisation et à accélérer la construction européenne» ne seraient soutenus que par le socle LREM, que Guillaume Bigot évalue entre 25 et 30% du corps électoral.
Une politique réformiste que les Français «supportent depuis 30 ans et ils la supportaient encore depuis 2017 avec Emmanuel Macron pour une raison essentielle. Ils se disaient que “certes ce n’est pas la politique que nous voulons” […], mais en même temps, ils sont compétents».
Cet argument de la «solidité de la technocratie» se serait ainsi brisé sur la pandémie du coronavirus, durant laquelle les Français «sont tombés de très, très haut», comprenant que cet argument de «compétence ne valait pas un clou». L’essayiste utilise enfin une métaphore cruelle:
«Ça fait vraiment penser à “La Vérité si je mens 2”. Dans l’usine de textile en Tunisie, ils font la visite à un entrepreneur: “regardez, c’est formidable, il y a des ordinateurs partout, c’est extrêmement solide”. La crise de la pandémie a joué un révélateur terrible, elle a montré que derrière les ordinateurs, il y avait des chèvres et des moutons et qu’il n’y avait pas grand-chose.»
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