Déficit commercial français: la piste de Francfort-sur-le-Main

Hausse de la facture énergétique, manque de compétitivité des salariés français, guerres économiques de Donald Trump, incertitudes sur le Brexit. Pour expliquer le déficit commercial français, qui se creuse année après année depuis le début des années 2000, les journalistes explorent toutes les pistes… toutes sauf une.

6,2 milliards d’euros: c’est la somme qui manque pour équilibrer la balance commerciale française du seul mois de juin 2018. Le service des douanes a communiqué mardi 7 août ses dernières statistiques et c’est peu dire que les chiffres du commerce extérieur tricolore du mois de juin plombent encore un deuxième trimestre lui-même peu radieux.

Après un déficit de 15,9 milliards d’euros enregistré au premier trimestre, le printemps n’aura en effet pas été plus favorable, avec une nouvelle fuite de richesses chiffrée à hauteur de 17,5 milliards d’euros. Si rien ne change, avec un tel premier semestre, la France est lancée pour dépasser le déficit commercial de 2017 (62,3 M€) voire aller chatouiller son record de 2012 (69,2 M€).

Une situation récurrente qui ne semble plus étonner la plupart des observateurs, lesquels se focalisent plus sur les raisons de l’écart de 1,6 milliard d’euros entre les deux premiers trimestres que sur les raisons d’un tel différentiel permanent entre les exportations et importations françaises. Une situation, qui agace Charles-Henri Gallois, trésorier et responsable des affaires économiques à l’Union Populaire Républicaine (UPR), le parti du Frexit.

«Le dernier excédent commercial était en 2003- donc, ça commence à dater —[…] il faut se rappeler que dans les années 90, la France était à l’équilibre. Maintenant on traîne des déficits commerciaux de l’ordre, selon les années, entre 60 et 80 milliards d’euros par an. C’est colossal et ça contribue à l’appauvrissement de la France!»

Ainsi, la quasi-totalité des articles s’attarde-t-elle à souligner la hausse des importations, en volumes comme en coût, des produits pétroliers. On remarquera également une hausse des importations d’automobiles. Autre explication revenant également pour commenter avec fatalité la situation: la France manque cruellement de compétitivité face à ses voisins européens, ainsi que d’un positionnement à l’export moyenne gamme avec des produits à faible valeur ajoutée.

Des arguments récurrents qui ne convainquent pas Charles-Henri Gallois, pour qui la hausse de la «facture énergétique» a décidément bon dos.

«Il y a une part de vrai pour ce qui est de la gamme, mais il ne faut pas oublier que toutes ces données structurelles, de salaires et de positionnement produit, on avait la même chose dans les années 90 et pourtant on ne se traînait pas un déficit commercial colossal comme c’est le cas à l’heure actuelle.»

Autres arguments, plus typiques du cru 2018: la contraction du commerce international, provoquée par des États-Unis qui ne «joue [nt] pas le jeu», ainsi que les «inquiétudes autour du Brexit». «Une fausse excuse», balaie notre intervenant, estimant qu’il est encore trop tôt pour que les conséquences des guerres commerciales et de l’embargo contre l’Iran menés par les Américains impactent la balance commerciale française. Selon Charles-Henri Gallois le principal coupable de ces déficits systématiques depuis 15 ans n’est tout simplement pas évoqué dans les médias.

«L’élément qui est rentré à la toute fin des années 90- en 1999 très exactement et après de manière officielle avec les billets et les pièces en 2002 —c’est l’euro! Et cet élément dans la perte de compétitivité de la France n’est jamais évoqué par les grands éditoriaux du Monde, des Échos, etc., alors que c’est évidemment l’élément clef et l’élément central.»

Pour ne rien arranger à la situation de la France, l’euro a continué de s’apprécier par rapport au dollar US (+2% entre juin 2017 et 2018). Une situation en apparence paradoxale au vu des contre-performances à l’export du pays. En effet, si le taux de change de l’euro augmente par rapport au dollar, c’est parce que la zone euro est elle-même en excédent commercial. Pour autant, la situation est loin d’être homogène entre ses 19 États-membres.

«C’est, en gros, 90% l’Allemagne qui le fait. C’est problématique, car cela se fait au détriment des autres pays de la zone euro, notamment des pays du sud. L’euro a permis, quelque part, à l’Allemagne de gagner des parts de marché vis-à-vis notamment des industries française et italienne.»

Avec un excédent commercial de 248,9 milliards d’euros en 2017 (données Eurostat reprises par l’INSEE), l’Allemagne devance largement les Pays-Bas ainsi que l’Italie avec leur solde positif respectif de 68,8 et 47,4 milliards. Un excédent allemand qui dénote par rapport aux déficits français et britannique, avec respectivement des trous de 79,1 et 176,8 milliards d’euros, toujours selon les données d’Eurostat, qui diffèrent nettement dans le cas de la France des chiffres de Bercy.

Pour donner un avant-goût du dynamisme de nos voisins outre-Rhin, en 2016 l’Allemagne disposait du plus gros excédent courant (soient les soldes des revenus de placement et des transferts courants ajoutés à celui du commerce extérieur) au monde, devant la Chine. Un mastodonte avec lequel la cohabitation monétaire n’est pas chose aisée.

«Le FMI, dans sa dernière étude de 2018, explique que si les pays européens retrouvaient leurs monnaies nationales […], il y aurait 20% de rééquilibrage de change entre la France et l’Allemagne, donc on ne se bat pas à armes égales avec l’Allemagne à partir du moment où on a l’euro!»,

Souligne Charles-Henri Gallois. En d’autres termes, la valeur de l’euro est surévaluée pour la France alors qu’elle est sous-évaluée pour l’Allemagne, un fait soulevé à maintes reprises depuis la crise de 2008. Avec une monnaie unique, aucun rééquilibrage n’est possible entre les deux rives du Rhin et pour notre intervenant, le fossé économique entre elles va continuer à se creuser. Charles-Henri Gallois illustre ses propos sur une situation qu’il estime «intenable»:

«En 1970, on échangeait 1 deutschemark pour 1,5 franc. En 1982, donc seulement 12 ans plus tard, on était passé à 1 deutschemark pour 3 francs. […] or, à l’époque la croissance française était à cette époque meilleure que celle de l’Allemagne et quand vous avez une monnaie qui se déprécie d’autant en 12 ans c’est vous rendre compte de la folie qu’est l’euro! Dans peu de temps, cela fera 20 ans qu’on a fixé ad vitam aeternam la monnaie entre la France et l’Allemagne, c’est de la folie furieuse!»

Il est notamment particulièrement intéressant de superposer les courbes de l’évolution du commerce extérieur français et allemand. Le rendu est saisissant, celle dernière s’envolant dès 2001, alors que la balance commerciale française entame sa chute après une brève stabilisation.

Impression d’écran du site de l’Université de Sherbrooke
Impression d’écran du site de l’Université de Sherbrooke

 

Des performances commerciales qui ont d’ailleurs attiré les foudres de Donald Trump sur l’Union européenne, l’Allemagne creusant son excédent commercial avec les États-Unis. Des intérêts allemands qu’avait d’ailleurs défendus Jean-Claude Juncker lors de sa visite à la Maison-Blanche fin juillet.

Le président de la Commission européenne avait alors convaincu Donald Trump de mettre en suspend ses plans de surtaxes visant l’automobile «européenne» en échange d’achats massifs de gaz de schiste et de soja américain visés par les contre-mesures chinoises, au plus grand dam de Paris, pour qui les produits agricoles tiennent une part importante dans ses exportations.
Alors que Berlin applaudissait l’accord, Bruno Le Maire exigeait des «clarifications»

«Si jamais cet accord est entériné, ce sont les agriculteurs français qui vont souffrir pour sauvegarder les intérêts de l’industrie automobile allemande,» appuie Charles-Henri Gallois, estimant que la France n’a «rien à gagner» à un tel accord.

Mais la question d’une monnaie partagée avec l’Allemagne n’est pas le seul souci pour la balance commerciale française. À un niveau plus conjoncturel, Charles-Henri Gallois ne mâche pas ses mots concernant la politique menée jusqu’à présent par Emmanuel Macron. Pour lui, non content d’avoir peu profité des effets de la reprise mondiale, le nouvel exécutif a littéralement tué dans l’œuf la croissance en France, en alourdissant la pression fiscale sur les classes moyennes.

Hausse de la CSG, hausse des taxes sur les carburants, pour le responsable politique, la hausse des prélèvements a pesé sur la consommation des Français et donc sur la croissance.

«La reprise en France a tourné court, puisque malgré un contexte international qui était très favorable avec une reprise du commerce international, une croissance assez bonne avec des prix du pétrole assez bas, la croissance française est en train bêtement de dégringoler et patine à cause de la politique absurde imposée par l’Union européenne et qu’exécutent servilement que ce soit Emmanuel Macron ou Bruno Le Maire.»

Un tableau noir que réfute le Quai d’Orsay, responsable du commerce extérieur. Dans un communiqué en réaction aux mauvais chiffres des douanes, le ministère des Affaires étrangères s’est défendu dans un communiqué, qu’il était «habituel» qu’en «phase de reprise économique», «l’amélioration du solde commercial ne soit pas immédiate, du fait de la hausse des importations induite par le rebond de la demande intérieure». Mais pour Charles-Henri Gallois, l’alignement des planètes est bien passé.

Autre point noir au tableau d’Emmanuel Macron aux yeux de Charles-Henri Gallois, ne pas avoir défendu les intérêts français dans plusieurs affaires, comme le cas d’Alstom vendu à son concurrent américain General Electric, alors même que l’entreprise était responsable de l’entretien des turbines de bâtiments de la flotte et de celles des centrales nucléaires françaises.

Comme le révélait le documentaire «Guerre fantôme: La vente d’Alstom à General Electric» de David Gendreau et d’Alexandre Leraître, alors qu’il était secrétaire général adjoint de la Présidence de la République, Emmanuel Macron a joué un rôle dans la décision de François Hollande d’aller contre l’avis d’Arnaud Montebourg, son ministre de l’Économie d’alors, et de laisser passer Alstom sous pavillon américain sans coup férir.

S’il n’a rien contre le libre-échange, Charles-Henri Gallois regrette que les règles européennes en la matière soient débridées, qui plus est vis-à-vis de pays n’ayant pas les mêmes normes sociales et environnementales que nous. Une attitude qui conduit selon lui à offrir aux quatre vents les intérêts économiques des États-membres, en plus d’un dumping social pesant lourd sur l’emploi manufacturier français.

«La norme, c’est au contraire le protectionnisme, le patriotisme économique. Il est évident par exemple que si on prenait les États-Unis ou la Chine, jamais ils n’auraient accepté le rachat d’une entreprise stratégique et industrielle du type Alstom. Ils auraient, évidemment, directement mis leur veto.»

source

Partager cet article