En même temps que l’Allemagne et suite à la Grande-Bretagne, la France vient de signer pour 10 ans un Accord de sécurité avec l’Ukraine, contournant ainsi la nécessité de son entrée dans l’OTAN et mettant les Français, en rang avec les Allemands et les Britanniques, toujours plus près de la ligne de front. Les intérêts atlantistes valent bien une petite guerre. Scholz et Borrel l’affirment, nous sommes en guerre, il faut en prendre conscience. En êtes-vous bien conscients, puisque c’est vous qui serez concernés, s’il faut aller se battre en Ukraine contre la Russie pour sauver l’Atlantisme ?
La militarisation du discours est constante, qu’il s’agisse des militaires de plateau ou des dirigeants politiques : la Russie est l’ennemi, les pays occidentaux sont tenus de faire la guerre en Ukraine. Or l’offensive atlantico-ukrainienne est objectivement un échec : on ne gagne pas une guerre traditionnelle par procuration. Il fait donc préparer le stade suivant : l’implication des pays de l’OTAN en Ukraine et les pays européens doivent assurer l’intérim pendant que les Atlantistes reprennent la main aux Etats-Unis.
Ainsi, suite à la décision du G7 d’entrer dans des relations bilatérales avec l’Ukraine, afin de contourner les difficultés d’une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN par la grande porte, la Grande-Bretagne a montré l’exemple en janvier et a signé un accord de coopération militaire (voir notre texte ici). L’Ukraine est entrée par la cuisine, mais elle est entrée.
L’Allemagne et la France se sont docilement alignées et ont elles aussi signé un accord de sécurité, qui est en réalité une coopération militaire avec un pays en guerre, comportant un engagement à le protéger, à l’armée et à s’impliquer sans limites a priori fixées.
Le texte français a été publié sur le site de l’Elysée, il est disponible ici.
L’on apprend déjà, l’ampleur de l’aide financière française à l’Ukraine :
«La France a fourni à l’Ukraine une aide militaire d’une valeur totale de 1,7 milliard d’euros en 2022 et de 2,1 milliards d’euros en 2023. En 2024, la France fournira jusqu’à 3 milliards d’euros de soutien supplémentaire.»
De combien l’agriculture française a -t-elle besoin ? Et les hôpitaux pour pouvoir au minimum prendre les patients en charge ? Peu importe, ce Gouvernement ne s’intéresse pas aux besoins des Français. Il a d’autres priorités. Il faut ramener l’Ukraine dans ses frontières de 1991, apprend-on dans le texte de l’Accord. Autrement dit, il faut annuler le Maïdan, qui fut un échec avec la perte de la Crimée, du Donbass et le démembrement en cours de l’Ukraine. Une guerre pour nullifier une révolution, il fallait y penser …
Certaines dispositions ont manifestement pour but de légaliser ce qui se passe déjà : fourniture d’armes, formation des militaires ukrainiens, coopération en matière de cybersécurité, fourniture de renseignements, accompagnement médiatique et propagande, etc.
D’autres dispositions ressortent plus de la fantasmagorie, notamment en ce qui concerne les éternelles réformes de l’Etat et de la justice en Ukraine en vue de son entrée dans le monde merveilleux de l’UE et de l’OTAN, le renforcement de l’état de droit, la lutte contre la corruption, le développement de l’industrie militaire en Ukraine.
En revanche, deux séries de dispositions mettent en danger la sécurité nationale du pays : l’engagement militaire sur le champ de bataille et la saisie des actifs russes.
L’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN bloque en raison de l’obligation de sécurité collective. Pourtant, les pays signant ces Accords avec l’Ukraine s’engagent individuellement. Le titre III de l’Accord français commence ainsi :
«Toute invasion russe future violerait la Charte des Nations Unies et les principes fondamentaux du droit international, et porterait gravement atteinte à la sécurité euro-atlantique, y compris celle de la France.
En cas de future agression armée russe contre l’Ukraine, à la demande de l’un ou l’autre des Participants, les Participants mèneront des consultations dans les 24 heures pour déterminer les mesures nécessaires pour contrer ou dissuader l’agression.»
La première question, évidente, concerne le caractère «futur» de l’agression, puisque la Russie est déjà caractérisée comme le pays commettant une agression en Ukraine, par ce même document. Soit la Russie n’est pas un agresseur et de quoi parle-t-on, soit la Russie est déjà considérée comme un agresseur et le Gouvernement prépare la guerre.
La seconde question concerne les moyens, qui seront mis en place, pour contrer ou dissuader ? Car, aucune limite n’est fixée. D’autant plus que le titre se termine par cette disposition, ô combien dangereuse :
«Afin de garantir la réponse collective la plus large et la plus efficace à toute agression future, les Participants peuvent modifier ces dispositions afin de s’aligner sur tout mécanisme que l’Ukraine pourrait ultérieurement convenir avec ses autres partenaires internationaux»
Autrement dit, la France, de son côté, va prévoir un certain nombre de mesures de réponse. Les autres pays aussi. In fine, la France s’alignera sur le plus disant … sans maîtriser donc le processus de décision.
Et l’absence de limites à l’engagement militaire de la France est prévue à plusieurs reprises, notamment dans le point 7 :
«Les Participants travailleront ensemble à la mise en place d’une force durable capable de défendre l’Ukraine aujourd’hui et de dissuader l’agression russe à l’avenir, grâce à la fourniture continue d’une assistance en matière de sécurité et d’équipements militaires modernes dans les domaines terrestre, aérien, maritime, spatial et cybernétique, en accordant la priorité, sans s’y limiter, à la défense aérienne, à l’artillerie, à la capacité de frappe de longue portée, aux véhicules blindés, aux capacités de l’armée de l’air et à d’autres capacités essentielles.»
Un point notamment mériterait une interprétation stricte et posée par le texte :
«Soutien à la protection et à la défense des frontières»
S’agit-il envoyer des hommes pour «protéger et défendre les frontières» ? Et de quelles frontières, le document parle-t-il ?
La France vient donc de signer un chèque en blanc. Sans consultation populaire. Sans consultation des instances de la représentation populaire. Ce n’est pas que l’on ait une grande confiance en ces institutions pour pouvoir réellement défendre les intérêts de la France, alors que le discours médiatique est totalement maîtrisé pour formater l’opinion publique et que l’opposition parlementaire est de pacotille, mais au moins les formes pourraient être respectées. Cela poserait les responsabilités ensuite. Quand les choses vont réellement déraper, puisque tout s’y prépare.
La seconde série de disposition mettant ouvertement en danger la sécurité nationale, même si différemment, est prévue au point 12 concernant l’indemnisation. Ce qui est étrange est que, en général, la question de l’indemnisation est réglée par le vainqueur au moment de la reddition. Or, nous en sommes loin …
«Les Participants réaffirment que la Fédération de Russie doit payer pour la reconstruction à long terme de l’Ukraine. Conformément au système juridique français, les actifs souverains russes relevant de la juridiction de la France restent immobilisés jusqu’à ce que la Fédération de Russie ait payé pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine. Le Participant français, en collaboration avec ses partenaires, continuera à explorer toutes les voies légales compatibles avec les obligations contractuelles applicables et conformes au droit européen et international, par lesquelles les avoirs russes pourraient être utilisés pour soutenir l’Ukraine.
En priorité, les Participants continueront à travailler ensemble, avec les États du G7 et d’autres, à la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation des dommages, pertes ou préjudices causés par l’agression de la Russie, comme le prévoit le statut du registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, adopté par la résolution du Comité des ministres du Conseil de l’Europe CM/Res(2023)3. À cet égard, les Participants exploreront les options appropriées pour le financement d’un mécanisme d’indemnisation afin de fournir une indemnisation rapide et adéquate aux victimes de l’agression»
Il semblerait que, bien au-delà de la reconstruction de l’Ukraine, il s’agit pour ces pays de trouver un financement à la guerre qu’ils s’engagent à mener en Ukraine sur le long terme. Chacun comprend que l’Ukraine est insolvable, que son économie a été détruite définitivement en 2014 avec le Maïdan, que l’industrie est en grande partie anéantie (soit elle a été abandonnée pour raison de post-industrialisme, soit elle a été bombardée quand elle est militaire). L’Ukraine, qui est amenée à disparaître et n’existera de toute manière plus jamais comme elle l’aurait pu en 1991, ne remboursera jamais ses dettes colossales. Les pays occidentaux ne sont pas certains de la victoire, surtout avec l’avancée régulière de l’armée russe. Il faut donc trouver un moyen de se payer avant. Mais ce moyen risque de leur coûter très cher.
Au-delà de ces considérations bien matérielles, la question qui revient toujours pour les Français est : mais que doivent-ils aller faire là-bas ? Quels intérêts défendre ? C’est la politique menée par ce Gouvernement, qui met l’intérêt national en danger. Et cela devient de plus en plus évident, malgré la propagande.
Par Karine Bechet-Golovko