L’industrie française pourrait s’affaiblir encore plus dans les mois qui viennent


Lecture confort
Imprimer

shutterstock_2062096523.jpg

Peut-on réindustrialiser la France en produisant moins?
Dans les semaines et les mois qui viennent, nombre d’entreprises prévoient de réduire ou même de stopper leur activité suite à la pénurie d’énergie et à la hausse des prix qui l’accompagne. Des entreprises demandent déjà le placement de leurs salariés en chômage partiel, d’autres réduisentà 3 ou 4 jours l’activité de leurs usines. Alors que le gouvernement communique sur la possibilité de coupures de courant pour les entreprises dans certaines régions, on nous affirme au même moment qu’on va vers le plein-emploi?

Certes, nous avons eu, en 2021, plus d’ouvertures d’usines que de fermetures, mais la petite musique du plein-emploi à portée de la main est tout à fait anachronique. Même le Haut Conseil des finances publiques et la Banque de France considèrent que les prévisions du gouvernement sont trop optimistes. Et nous voyons déjà, au troisième trimestre 2022, que la croissance est seulement à 0,2%…

Le chômage est à 7,3 % (meilleur taux depuis 2008, nous répète le gouvernement) mais nous courons le risque de voir repartir ce chiffre à la hausse. Pour 2023, l’exécutif prévoit un taux de chômage en baisse à 7,2 % avec une croissance à 1 %, mais tout cela n’est guère réaliste. Avec une croissance à zéro – ce qui risque d’être le cas l’an prochain -, le chômage ne diminuera pas, mais augmentera à 7,7 % et même à 8 % en cas de légère récession.

Encore s’agit-il là du taux de chômage au sens du BIT (Bureau international du travail). Si on ajoute le 1,8 million de personnes qui sont sans emploi et ne sont pas comptées comme chômeurs mais dans ce que l’on appelle le «halo du chômage», nous sommes plus proches des 11 %. La communication gouvernementale sur le plein-emploi en 2027 est donc à relativiser grandement.

Pour tout arranger, le déficit commercial de la France (sur les biens) est évalué pour 2023 à 154 milliards. Le pire cru jamais connu. Certes, ce chiffre catastrophique tient en partie à une dépense énergétique plus importante, mais c’est aussi le résultat du manque de production industrielle et marchande française. Le poids des exportations françaises de biens ne représente plus que 11,5 % des exportations des pays de la zone euro contre 17 % au début des années 2000.

De surcroît, seulement 10,5 % du PIB provient de notre industrie manufacturière alors que l’Allemagne est à 21 % et l’Italie à 15 %. Nous ne produisons que 280 milliards d’euros de valeur ajoutée par an dans l’industrie hexagonale. L’Allemagne est à plus de 750 milliards et l’Italie à 300 milliards. Si cela continue, l’Espagne, qui est à 170 milliards, pourrait même nous rattraper dans les prochaines années.

Nous avons détruit 2 millions d’emplois dans l’industrie depuis les années 1980. Et avec la période que nous vivons, nous risquons d’en voir disparaître encore une partie. Qui peut croire qu’en arrêtant les usines, en utilisant moins d’énergie, notre industrie va croître et les investisseurs industriels continuer d’investir en France?

Dans l’industrie française, l’inquiétude est aujourd’hui largement partagée. Et nombre d’entreprises expliquent programmer leur production des mois à venir ailleurs que dans notre pays.

Nous sommes face à un déni de réalité. Le parc nucléaire français ne fonctionne toujours qu’à 46 % de ses capacités suite au désinvestissement dans l’industrie nucléaire. Pour mémoire, la production maximale du parc a atteint 450 TWh. Or en 2022, nous sommes à 170 TWh en dessous de notre capacité maximale nucléaire de production. Pour 2023, EDF a confirmé les fourchettes de production nucléaire à 300-330 TWh. En 2023, il manquera encore autour de 135 TWh, puis encore 120 TWh en 2024.

Cela fait porter une ombre menaçante sur toute notre économie productive. La France avait un avantage comparatif important pour les activités industrielles électro-intensives: le faible prix de son énergie nucléaire. Avec peu d’énergie et de l’énergie chère, nous perdons un de nos rares avantages. Certes, le poids des taxes, impôts et cotisations sur nos entreprises a légèrement baissé, mais l’écart avec les pays de la zone euro est toujours gigantesque. Il consiste en quelque 140 milliards de plus payés par an en prélèvements obligatoires par nos entreprises.

Enfin, le problème de l’excès de normes et de leur coût économique pour l’activité productive n’a pas vraiment été résolu non plus. En Ille-et-Vilaine, l’entreprise Bridor cherchait à installer une usine de viennoiseries à Liffré depuis 2017. Ses dirigeants espéraient ouvrir en 2021, mais, avec les recours des opposants à l’usine, d’une durée d’au moins deux ans, ils pensent ne pas pouvoir ouvrir avant 2025 ou 2027, et envisagent de renoncer de guerre lasse. Le projet de 250 millions d’euros d’investissements et 500 emplois partira-t-il à l’étranger? C’est une hypothèse très sérieuse.

Veut-on vraiment réindustrialiser la France ?

En matière de complexification normative, nous avons en réalité très peu bougé en faveur des entreprises. Pourtant, les points de blocage sont bien identifiés. Nous avons par exemple les délais les plus longs pour ouvrir les usines: 17 mois pour valider un dossier d’implantation d’une usine en France, très loin de l’Allemagne (4 à 6 mois), tout comme la Suède (6 mois) ou la Pologne (4 mois). Et toujours pas d’évaluation officielle du coût astronomique de la charge administrative qui pèse sur nos entreprises alors qu’il existe pour les collectivités un Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). À croire que les industriels n’ont pas une écoute aussi attentive chez les pouvoirs publics que les élus locaux.

Veut-on vraiment réindustrialiser la France et créer des emplois ou n’est-ce qu’un élément de communication?

Si ce n’est pas le cas, où est le plan pour produire tout de suite plus d’énergie nucléaire, abandonner l’objectif de baisser à 50 % l’énergie nucléaire dans le mix français en 2035, réduire les normes étouffantes, baisser les taxes au niveau de nos voisins de la zone euro et arrêter d’agiter l’objectif «zéro artificialisation des sols»?
Toutes ces contraintes mettent à mal notre industrie et ont pour résultat qu’au lieu de produire en France, en polluant moins, nous importons plus en polluant plus, tout en empêchant la création d’emplois chez nous. Un potentiel choc de désindustrialisation nous guette.

source

Partager cet article