Chaque année, la Russie commémore le 9 mai la victoire sur le nazisme et pleure ses vingt-six millions de victimes. «En Occident, c’est un non-événement», déplore Marek Halter, écrivain et grand spécialiste de l’histoire du peuple juif, au micro de Sputnik.
8 ou 9 mai? Derrière cette différence de date marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux visions de la victoire sur le nazisme s’opposent de plus en plus: l’occidentale et la russe.
Pour expliquer que ce fossé se creuse, Marek Halter, écrivain prolifique –notamment sur l’histoire du peuple juif– ne craint pas de citer Aristote, qui disait à Alexandre le Grand que «l’Histoire est écrite par ceux qui l’écrivent». Il nous demande donc d’accepter le fait que «chacun de nous a la liberté de réécrire l’Histoire.»
«L’Histoire est écrite selon des choix idéologiques. Et le général de Gaulle a été le seul qui, en 1945-46, reconnaissait le rôle essentiel de l’URSS dans la victoire sur le nazisme, parce qu’il s’opposait aux projets de l’Otan et aux Américains, qui avaient comme plan d’occuper le terrain ravagé par la guerre et un marché qui s’appelait l’Europe occidentale», assure Marek Halter à Sputnik France.
Mais l’auteur de Je rêvais de changer le monde. Mémoires, (Éd. Robert Laffont/XO) soulève une objection à cette possible «liberté de traitement», puisqu’il y «a encore des témoins de la guerre de 1939-45», dont il fait partie.
«Je m’énerve quand je vois qu’il n’y a pas de solidarité de l’Europe occidentale avec la Russie, qui a perdu 26 millions de vies pour notre liberté, développe Marek Halter. Qu’est-ce que serait l’engagement occidental sans Stalingrad, Koursk ou Leningrad?»
Marek Halter ne cache nullement son humeur grincheuse, qu’il n’hésite pas à partager dans son blog. Ses paroles sont crues et directes: il rappelle que «ces Russes» qui lui ont tendu la main en 1940 quand, enfant juif de Varsovie, il «était condamné par les nazis à devenir une savonnette», sont «mal-aimés en France».
«Pourquoi cette volonté d’exclure la Russie d’un moment aussi important de l’histoire de l’Humanité?» se demande Marek Halter.
Pour Marek Halter, il est clair que face à la Russie, «une grande puissance comme il n’y en a pas beaucoup dans le monde», les dirigeants européens ont commis plusieurs impairs.
Rejet de la Russie: l’Europe a misé sur l’économie
Lourd symbole, ils ont ainsi invité Angela Merkel à l’anniversaire du Débarquement en 2019 sans inviter Vladimir Poutine, qui représentait pourtant «la Russie qui a gagné la guerre».
«L’Europe aurait pu être une grande puissance, mais malheureusement, aussi bien Jean Monnet que Robert Schumann ont mal commencé: ils ont commencé par l’économie, qui ne réunit pas les gens, mais crée la concurrence, assure Marek Halter. Ils auraient dû commencer par la culture!»
Tout en soutenant que «la culture aurait pu être le ciment de l’Europe», Marek Halter admet qu’«à l’époque [de la création de la CEE, ndlr], on avait peur de la Russie».
L’affrontement idéologique
Faisant référence à son histoire personnelle et à sa libération, Marek Halter rappelle qu’«un million de juifs ont trouvé refuge en Russie». Il ne se voile pourtant pas la face en reconnaissant que «Staline a envoyé la plupart d’entre eux en Sibérie ou en Asie centrale», comme ce fut le cas pour ses parents. Mais l’idéologie était centrale dans l’histoire de l’époque.
«Le monde a été coupé en deux en 1945 entre le monde communiste et le monde capitaliste. Dans cette opposition, on ne voulait pas partager ces moments de gloire sur le Mal», explique l’écrivain.
L’écrivain regrette par ailleurs qu’après la fin de la Guerre froide, malgré la visite de François Mitterrand à Moscou en 1986, en France «on a raté l’occasion d’inviter Gorbatchev» et celle d’une «alliance avec la Russie, un rêve depuis les tsars» et qu’une «petite partie de la société espérait».