Hella Kherief, aide-soignante de 29 ans, a été congédiée par l’hôpital qui l’employait après avoir dénoncé les dérives des Ehpad dans l’émission Envoyé spécial. Elle a confié à RT France ne rien regretter et souhaiter faire avancer les choses.
Sale temps pour les lanceurs d’alerte. Après avoir révélé dans une émission les conditions de vie intolérable des résidents de certains Ehpad privés, l’aide-soignante Hella Kherief a été convoquée par l’hôpital qui l’employait en intérim depuis deux ans. Alors qu’elle y avait signé un CDI trois semaines auparavant, elle s’est vu signifier la fin de sa période d’essai, sans explication. Pourtant l’établissement ne faisait même pas partie des maisons de retraite visées par l’enquête.
La jeune femme de 29 ans, mère de deux enfants, ne baisse pas les bras et compte continuer à se battre pour alerter sur le fonctionnement scandaleux de ces Ehpad privés qui, selon elle, éreintent le personnel et maltraitent les pensionnaires. Elle va entamer une démarche prud’homale et prévoit une conférence de presse nationale.
RT France : Quelles sont les raisons que vous a données l’hôpital qui vous a congédiée un jour après la diffusion de l’émission Envoyé spécialsur France 2 ?
Hella Kherief : Aucune. J’étais en période d’essai jusqu’au 24 septembre, et le 21, le cadre supérieur m’a appelée et m’a dit : «Hella, on arrive en fin de période d’essai, on va faire un entretien lundi». Le matin de l’entretien, il était très froid et m’a dit que ça ne convenait pas et qu’on arrêtait le contrat. J’ai répliqué : «Mais qu’est-ce qui se passe ? C’est quand même troublant : je passe dans une émission, le lendemain vous m’appelez. Vous me laissez travailler le week-end, et là vous me dites qu’on arrête le contrat !» Il a haussé les épaules, en m’annonçant que l’ordre ne venait pas de lui, mais du directeur. J’ai demandé si c’était lié à l’émission et je n’ai pas eu de réponse. Il a déclaré qu’en période d’essai, on n’est pas obligé de donner les motifs.
Je suis rentrée chez moi complètement démolie. J’ai appelé mon avocat, mon syndicat. C’est un peu grâce à eux que je me bats car je suis soutenue.
RT France : Aviez-vous déjà connu une telle mésaventure par le passé, en voulant dénoncer des abus dans les maisons de retraite ?
Hella Kherief : Oui, mais pas parce que j’en avais parlé à la télévision… Je n’ai témoigné que plus tard dans les émissions. J’avais en réalité dénoncé des cas de maltraitance en interne au sein du groupe Korian. J’avais envoyé des courriers en recommandé, averti les tutelles, l’inspection du travail. En conséquence, j’ai été licenciée par Korian.
RT France : La loi sur le secret des affaires pénalise les lanceurs d’alerte. Vous venez de perdre votre travail… Que pensez-vous de ce climat qui empêche de dénoncer les dysfonctionnements des entreprises ?
Hella Kherief : Je me demande pourquoi la loi qui oblige à dénoncer la maltraitance a été créée. Celle qui est placardée partout dans les établissements, puisque quand on la respecte, on subit les pires outrages. Il faut m’expliquer pourquoi le gouvernement ne défend pas les personnes qui appliquent les lois qu’il a mises en place. En revanche, quand ces grosses boîtes déposent plainte pour diffamation, on se fait convoquer au commissariat comme des malpropres. Ça m’est arrivé quand j’ai dénoncé les cas de maltraitance dans le groupe Korian. Heureusement, leur plainte été classée sans suites car ce que j’avais révélé était vrai.
RT France : Aujourd’hui, vous n’avez plus d’emploi. Regrettez-vous d’avoir parlé ?
Hella Kherief : Je ne regrette en aucun cas tout ce que j’ai pu dire et faire. Si c’était à refaire, je recommencerais à l’identique. Parce que ce n’est pas une parole individuelle, mais celle de tous les soignants qui n’ont pas osé le dire. Il est déjà très difficile de parler en caméra cachée, car les gens ont peur d’être reconnus. Mais tant pis s’il faut se sacrifier pour tous les soignants et les résidents. Nous battre pour nos aînés est un devoir de citoyen.
RT France : Quelle est la situation aujourd’hui dans les Ehpad ?
Hella Kherief : Il y a une pénurie d’aides-soignants partout. De très nombreuses personnes sont en burn-out. Nos conditions de travail ne sont pas faciles : l’institution nous oblige à devenir maltraitants. Lorsqu’on dispose seulement de trois couches par jour par patient et qu’il est souillé, que faire ? Je rentrais chez moi le soir et je pleurais à cause des scènes vécues dans la journée.
On se sent responsable de communiquer là-dessus. Je me dis aujourd’hui qu’au moins, j’aurais dit les choses. Nous sommes des millions d’aide-soignants à subir les mêmes problèmes. Ma prise de parole a permis de libérer un peu celle des autres professionnels. Des familles, des résidents sont aussi passés par là, et enfin, le débat est mis sur la table. Il aura peut-être fallu que je me fasse licencier pour cela.
Je ne fais pas cela pour dénigrer les groupes ou mettre à mal un établissement, mais pour qu’on améliore les choses. Quand une famille arrive et voit sa mère qui n’est pas levée à midi, ça donne envie de pleurer. Je parle pour faire avancer les choses, pour que ça change.