Hier a eu lieu la cérémonie officielle d’entrée en fonction du président Vladimir Poutine. A cette occasion, il a adopté un nouvel oukase de mai fixant les buts économiques et sociaux du développement du pays d’ici 2024, les anciens oukases de mai ayant été dans l’ensemble exécuté, sinon dans la lettre du moins dans l’esprit.
Dans l’ensemble, il reprend les annonces de politique intérieure faite lors du Discours devant le Parlement (
voir notre texte ici), tentant un équilibre entre libéralisme économique et conservatisme social. En voici les principales dispositions.
«
Toute la force est dans notre originalité et dans notre unité« , déclare Poutine lors de son discours d’investiture. Ce fondement doit être garanti par ce nouvel oukase (
disponible sur le site du Kremlin) fixant les objectifs que le nouveau Gouvernement Medvedev devra remplir d’ici 2024, à savoir le renforcement du développement technique et scientifique, du développement social, l’augmentation de la population, de son niveau de vie, l’amélioration des conditions de vie et la mise en place des conditions permettant la réalisation du talent de chacun.
Pour cela, le Gouvernement doit réaliser d’ici 2024 les buts suivants – ambitieux:
- Permettre le développement stable de la population de la Fédération de Russie.
- Augmenter l’espérance de vie à 78 ans (80 ans en 2030).
- Permettre l’augmentation stable des ressources réelles des citoyens et garantir l’augmentation des pensions de retraite de manière supérieure au niveau de l’inflation.
- Diminuer de moitié la pauvreté dans le pays.
- Améliorer les conditions de logement d’au moins 5 millions de familles par an.
- Accélérer le développement technologique, augmenter le nombre d’institutions s’occupant des technologies innovantes jusqu’à 50% de leur nombre total.
- Garantir l’accélération de l’implantation de la numérisation dans les sphères économiques et sociales.
- L’entrée de la Fédération de Russie dans le cercle des 5 plus grandes économies mondiales, garantir un rythme de développement économique supérieur à la moyenne mondiale tout en gardant une stabilité macro-économique, notamment une inflation inférieure à 4%.
- Création dans les branches fondamentales de l’économie, notamment dans l’industrie de transformation et dans l’industrie agricole des secteurs rentables à l’export, se développant sur la base des nouvelles technologies et des cadres hautement qualifiés.
Plus concrètement, lors de la préparation de son plan de travail, le Gouvernement doit prévoir des impératifs précis en matière démographique. Il s’agit d’atteindre: une durée de vie en bonne santé de 67 ans; un coefficient cumulé de fécondité de 1,7; d’augmenter la part de la population ayant un mode de vie sain et jusqu’à 55% la part de la population pratiquant régulièrement du sport. Le Gouvernement doit introduire des mécanismes de soutien financier aux familles lors de la naissance d’un enfant; faciliter les conditions de travail des femmes ayant des enfants, notamment en garantissant à 100% (d’ici 2021) l’accès des enfants de moins de 3 ans en crèche; préparer et réaliser un programme de soutien systémique et d’amélioration des conditions de vie des personnes âgées; favoriser un mode de vie sain et développer les infrastructures sportives.
L’amélioration de la vie et de la durée de vie passe aussi par le développement d’une médecine de qualité et accessible, devant à la fois prévenir et guérir dans des conditions permettant la baisse de la mortalité infantile à 4,5/000, la baisse de la mortalité suite à des maladies et aux accidents du travail. En ce sens, le Gouvernement doit: mettre fin au manque de personnel qualifié pour les soins de première urgence; permettre un contrôle préventif de tous les citoyens au moins une fois par an; garantir une accessibilité optimale aux soins de base pour l’ensemble de la population, notamment pour les zones isolées; optimiser le fonctionnement des établissements de soins, notamment en facilitant la prise de rendez-vous et en réduisant le temps d’attente.
Le Gouvernement doit ici revenir sur la politique d’optimisation qui a conduit à la désertification médicale des zones éloignées et développer un réseau d’établissements ou de soins mobiles couvrant le territoire. Ici aussi les nouvelles technologies doivent être mieux implantées pour aider à la réalisation de ces buts et les professionnels mieux préparés. Un accent particulier est mis sur le développement de la lutte contre le cancer, le soin des maladies cardiaques et infantiles. Cela doit s’accompagner de la mise en place d’un système de défense des droits des patients.
Dans le domaine de l’enseignement, les consignes restent assez générales, à part le renforcement regrettable des technologies à l’école (déjà submergée par les ordinateurs et tableaux électroniques qui détournent l’attention des élèves) et des nouvelles méthodes d’enseignement qui font dangereusement penser au pédagogisme. Mais dans le contexte du forcing réalisé par l’OCDE et ses réseaux nationaux, les recommandations auraient pu être plus destructrices. Une acrobatie intéressante qui souligne toute la dualité de la politique en la matière est le rappel de l’importance des valeurs et traditions nationales. Généralement, l’objectif fixé est de faire entrer l’enseignement général en Russie dans le top 10 mondial en terme de qualité (l’appréciation restant ici, soyons honnête, assez subjective). L’accent doit être mis sur la formation professionnelle. Le Gouvernement doit également mettre en place des systèmes de concours professionnels afin de donner des perspectives d’évolution de carrière plus claires. Un soutien doit être apporté aux volontaires, à la fameuse et très à la mode « découverte des talents » (normalement c’est l’école qui doit le permettre, mais la nouvelle idéologie ici implique manifestement des structures spéciales permettant la prise en charge du flot continue de génies en herbe … que l’on ne voit pas trop en masse une fois à l’Université …). Il s’agit d’une tentative de conciliation entre « méthodes innovantes » et fonds national. Dans quelle mesure ce pari est réaliste, de sérieux doutes subsistent vus les premiers résultats et de l’expérience française.
En matière de politique de logement et de la ville, le Gouvernement doit favoriser l’accès au logement des familles à faibles revenus, notamment en favorisant les prêts hypothécaires avec un taux préférentiel ne dépassant pas 8%; augmenter le volume de construction d’habitat à au moins 120 millions de m2 par an; augmenter le confort en milieu urbain (augmenter le coefficient de 30% et diminuer de moitié le nombre de villes ayant un faible niveau de confort); développer les mécanismes de participation des habitants à la prise de décision (jusqu’à 30%); réduire le fond immobilier inepte à l’habitation. Il faut donc moderniser les mécanismes de construction, réduire la bureaucratie, favoriser les prêts.
En matière écologique, il est impératif de liquider les décharges sauvages, de développer un traitement efficace des déchets de consommation et de production; de réduire de 20% des rejets toxiques dans l’atmosphère afin d’améliorer significativement la qualité de l’air; améliorer la qualité de l’eau potable, surtout pour les lieux qui ne sont pas reliés au système centralisé d’eau; amélioration de la propreté des eaux douces, notamment le Baïkal; protection de la biodiversité du territoire, notamment en créant au moins 24 zones protégées.
L’oukase traite aussi de la question incontournable pour la Russie, vue l’étendue du territoire, de la qualité des routes et de la densité du réseau. En plus de l’entretien et de la reconstruction, il s’agit notamment de l’intensification (+50%) du nombre de routes d’importance régionale afin de soulager (de 10%) les routes nationales et régionales en surcapacité, de la réduction des portions de route à risques et de la diminution de la mortalité sur les routes de 3,5 fois (pour atteindre 3/100 000).
Un aspect également récurrent, et pas uniquement pour la Russie, est celui du renforcement de la productivité du travail et de la politique de l’emploi, en partenariat avec les régions. Les buts fixés au Gouvernement sont une augmentation de la productivité du travail dans les secteurs de bases non-liés aux matières premières de 5%; inclure au moins 10 régions dans ce programme; inclure dans ce programme au moins 10 000 PMI PME. L’instrument fiscal peut être utilisé pour stimuler les entreprises, la simplification des normatifs, la modernisation des postes dépassés ou non-productifs…
En ce qui concerne la science et la recherche, l’oukase reste heureusement très vague. Le but est de faire entrer la Russie dans le top 5 des pays leaders, développer l’attractivité pour les chercheurs russes et étrangers ainsi que pour les jeunes chercheurs (donc éviter la fuite des cerveaux), augmenter le financement national des projets de recherche.
Nous en arrivons à l’incontournale « économie numérique« . Dont il faut tripler le financement. Le Gouvernement doit permettre la mise en place d’une structure de transmission d’informations sûre, qui permette de travailler et de stocker un volume important d’information, autant pour les particuliers que pour les institutionnels. Il est vrai que vu le contexte international, la protection des informations est un enjeu de sécurité nationale – le rapport avec l’économie est plus flou. Les organes et structures publics doivent utiliser des programmes nationaux (il semblerait que le concept « d’économie numérique » inclue largement l’Etat). Pour cela, un cadre réglementaire doit être prévu et les spécialistes formés. En fait, l’Etat doit utiliser les procédés numériques dans l’intérêt du business et de la population, ce qui doit être le lien avec l’économie.
Le traitement de la question de la politique culturelle renvoie au renforcement de l’identité citoyenne russe dans les différentes sphères artistiques, garantir aux écoles musicales, artistiques et théâtrales les moyens techniques nécessaires de fonctionnement (à ce sujet, il serait peut-être bon de mettre fin à l’ineptie de l’enregistrement d’office par internet des candidats sans choix possible par l’école en fonction des capacités de l’enfant, ce qui détruit le système par la base). Il est également nécessaire de développer la création de « Clubs » dans les régions non-urbaines, de soutenir le talent dès l’enfance, de développer les bibliothèques municipales, dans au moins 500 villes de créer des scènes de concerts virtuelles, de reconstruire les théâtres pour enfants, de soutenir les initiatives culturelles privées de défense des cultures locales des peuples de Russie.
Le Gouvernement doit également s’investir dans le soutien du petit et moyen business. Il faut atteindre le seuil de 25 millions de personnes dans les PMI PME et dans l’auto-entreprenariat, afin de renforcer le tissu économique national. Pour le reste, il s’agit toujours de la réduction de la bureaucratie, de la mise en place de plateformes numériques devant les aider (sans précision), d’un accès à l’aide financière, de favoriser leur développement dans les domaines sociaux, technologiques, de l’environnement … Le Gouvernement doit également aider les fermiers et les producteurs agricoles. Faire revenir dans l’économie transparente les personnes ayant une activité professionnelle rémunérée individuelle non déclarée (femmes de ménage, garde d’enfants …) par un système fiscal adapté.
En matière de coopération internationale et d’export, le Gouvernement doit arriver à ces chiffres: l’industrie de transformation, l’agriculture et les services doivent garantir 20% du PIB; un volume d’export annuel de produits non bruts et non énergétiques de 250 milliards $; développer les échanges entre les pays de l’Union eurasiatique en mettant en place un système de division du travail et de coopération en matière de production; augmenter d’une fois et demi l’investissement croisé entre les pays de l’Union eurasiatique.
Le soutien de l’Etat doit être particulièrement fort dans les secteurs industriels, agricoles et du commerce pour que les marchandises soient concurrentielles sur le marché international. Réduction des barrières administratives au commerce international. Terminer la mise en place d’un système souple d’instruments financiers internationaux pour soutenir l’export. Finaliser la réalisation d’un marché commun dans l’espace eurasiatique.
L’oukase traite également de la modernisation des grandes artères du pays, entre l’Est et l’Ouest et entre le Nord et le Sud, dans une logique de grands travaux. Ce qui concerne non seulement les voies routières, mais aussi la modernisation des ports, la mise en place de centres logistiques pour les transports de marchandises, la reconstruction et l’agrandissement des aéroports régionaux, les systèmes d’énergie atomique, hydraulique etc.
Cet oukase est ambitieux et fixe des objectifs qu’il sera difficile à atteindre, surtout dans un contexte international crispé. Mais c’est justement ce contexte qui oblige la Russie à garantir son indépendance géopolitique par une politique intérieure permettant le renforcement de l’économie, sans oublier la dimension sociale.