L’Ukraine et la Russie étaient deux éléments d’une même culture, d’une même histoire, d’une même religion. Le nouveau pouvoir ukrainien post-Maïdan s’est attaqué à la désoviétisation, à la « dérussification » totale du pays, non seulement à travers la langue, mais aussi les films, les livres, la réécriture de l’histoire, laissant une terre blessée, un peuple déchiré, épuisé. Mais peu importe, tout a un prix, au peuple de le payer. Il ne restait que la religion à abattre, ce lien presque physique qui relie le monde russe.
Après la chute de l’URSS, une Eglise orthodoxe renégate est créée en 1992, qui n’est pas reconnue en dehors des frontières, l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou depuis l’an 1030 étant historiquement la seule légitime. Attaquer l’unité de ces Eglises, c’est faire d’une pierre deux coups: à la fois attaquer une Eglise qui reste très fervente, à une époque où la religion chrétienne doit être une caricature au service de l’idéologie ou disparaître, et servir les intérêts géopolitiques dans la région.
La crise a été lancée, du moins officiellement, par le Patriarche de Constantinople qui déclare pouvoir accorder le statut d’autocéphale à l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, c’est-à-dire l’autonomiser du Patriarchat de Moscou.
Or, l’Eglise orthodoxe ukrainienne, l’Eglise canonique et légitime, n’a fait aucune demande.
Cette idée avait déjà été lancée par Porochenko l’été 2017 et la demande de reconnaissance a été faite par le Métropolite renégat Filaret, à la tête de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine créée en 1992 en soutien aux mouvements nationalistes, qui continue d’ailleurs en ce sens. Historiquement, une tentative similaire avait eu lieu de 1918 à 1921, mais cette Eglise autonome fut alors liquidée par le Patriarche Tikhon et rentrée comme entité dans le Patriarcat de Moscou.
En 1991, cette entité était présidée par Filaret, qui a demandé à Moscou de lui reconnaître son autonomie, ce qui lui a été refusé. Filaret alors déclaré la rupture, il a été excommunié en 1992. C’est le moment où il a fondé cette Eglise renégate qui, en elle-même est très petite comparée à l’Eglise ukrainienne orthodoxe du Patriarchat de Moscou.
A l »époque, le Patriarchat de Constantinople avait refusé de la reconnaître. Mais comme en ce bas monde rien n’est aussi stable que la turpitude, les opinions changent en fonction des circonstances.
Il est évident que le maillon faible dans le monde orthodoxe se trouve avantageusement à Kiev et il semblerait que le Patriarche de Constantinople ne soit pas particulièrement très fort non plus. Ces deux éléments ont permis de recouper deux buts différents: 1) tenter de briser la force de l’Eglise orthodoxe, qui n’est tombée ni dans les scandales, si dans la parodie et donc dérange en ces périodes néo-trotskystes agressives; 2) renforcer la séparation de l’Ukraine et de la Russie en provoquant une rupture cultuelle.
Ici les intérêts se recoupent également, le Patriarche de Constantinople pouvant entrer dans ce jeu pour élargir sa zone d’influence, puisqu’à la différence du Pape de Rome, il n’a pas d’autorité sur l’ensemble du monde orthodoxe. Dans ces jeux-là, l’important est toujours de trouver la bonne personne.
Car l’enjeu est de taille. 35 millions de croyants en Ukraine déclarent être rattachés à l’Eglise canonique orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, soit 80% de la population.
En 2016, malgré les menaces, les expropriations forcées et les violences exercées par les extrémistes contre les églises orthodoxes, l’on comptait 53 diocèses, 247 monastères (129 masculins, 118 féminins), environ 12 000 paroisses, 17 établissements d’enseignement. Ceci est une force dormante qui peut déranger le pouvoir, faible, politique aujourd’hui en place en Ukraine.
Le Patriarche de Constantinople a déjà envoyé deux hiérarques auprès de Filaret, l’un venant des Etats-Unis et l’autre du Canada. Affirmant ainsi la filiation de l’idée. Le Patriarcat de Moscou a menacé de rompre les relations et a mis en garde contre les risques d’effusion de sang.
Et ce risque n’est pas mince: le Métropolite Onufrii, à la tête de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou est entré dans la tristement célèbre base de données Mirotvorets, comme l’annonce la presse ukrainienne.
Cette base recense les « ennemis » de l’Ukraine « pro-européenne » post-Maïdan et incite à leur élimination, ce qui fut déjà le cas d’un certain nombre d’opposants. Il fut ainsi « conseillé » au Métropolite de rapidement quitter le territoire de l’Ukraine … avant qu’il ne soit trop tard.
Il y est répertorié comme un « agent d’influence du Patriarcat de Moscou » et empêche de créer une Eglise ukrainienne autonome.
Il est évident que chaque nouveau petit roitelet doit avoir sa petite cour, avec sa petite garde et ses bons prêtes pour prier pour le salue de son âme. Il ne manque à l’Ukraine de Porochenko qu’une Eglise d’opérette pour compléter cette tragicomédie.