« Ils se nient en tant que colons alors que la colonisation arabe de l’Afrique était pire que
celle des Européens, car ils castraient les hommes »
L’auteur du « Messie du Darfour », Abdelaziz Baraka Sakin écrivain soudanais, revient avec « La Princesse de Zanzibar », un roman éblouissant d’audace sur une période tragique, celle de l’esclavagisme arabe en Afrique.
Il nous explique, de passage à Paris, l’origine de ce roman : à l’époque où il s’intéressait à la littérature omanaise, Abdelaziz Baraka Sakin tombe sur deux livres datant de la colonisation des Omanais à Zanzibar. « L’un était les Mémoires de la fille du sultan, l’autre était écrit par un chef militaire qui capturait les esclaves. J’ai été frappé par le fait que la princesse parle de la vie fastueuse des Omanais à Zanzibar, et décrive les Zanzibarites comme des gens qui ne faisaient rien, des paresseux, alors que les Africains faisaient tout, cultivaient la terre, s’occupaient des récoltes, et jusqu’à laver les corps des maîtres. Ce contraste entre ce paradis pour les Omanais et cet enfer vécu chez eux par les Africains m’a interpellé ».
Avec sa verve prodigieuse, Baraka Sakin installe son histoire au cœur d’Unguja, l’île principale de l’archipel, alors aux mains des Omanais, où l’esclavage bat son plein, et les Anglais, Français et Allemands se battent pour coloniser Zanzibar. « Mais qu’est-ce qu’ils nous veulent ces Européens ? L’île nous appartient, […] cette terre est à nous, son peuple aussi, nous sommes ses maîtres », s’étonne le sultan au pouvoir !
L’auteur établit une page des records tous secteurs confondus de ce sultan : « Tout au long de sa vie, sans que l’on puisse en délimiter avec certitude la durée, il tua 883 Africains, 7 Arabes omanais et 20 Yéménites. […] Il vendit 2 779 670 esclaves, hommes, femmes et enfants. Il copula avec 300 esclaves […] ».
Les épisodes bondissent, suivant les grands chapitres de cette fin du XIXe où tout bouge, autour d’une date que l’histoire a retenue comme la guerre la plus courte : le bombardement de Zanzibar le 27 août 1896 par les Britanniques, dite « la guerre de trente-huit minutes », mais l’auteur fait ici et là des pas de côté à sa guise et toujours en faveur du rythme de la narration, en se démarquant des faits pour décrire, d’une scène à l’autre, l’incroyable violence des Omanais. « Ils se nient en tant que colons alors que la colonisation arabe de l’Afrique était pire que celle des Européens, car ils castraient les hommes », précise Abdelaziz Baraka Sakin.
Le sultanat d’Oman et le Koweït n’ont pas pardonné à l’auteur sa vision des choses : ce livre, précise sa maison d’édition française (Zulma), est interdit dans ces pays.
L’esclavagisme fait toujours autant débat, près de deux siècles après son abolition en Europe. Entre les disputes sur les chiffres et les demandes de repentances, Bernard Lugan arbitre et vient remettre certaines pendules à l’heure. Il fait état du bilan des trois traites les plus importantes de l’histoire.
Et parmi la plus inattendue des traites, celle des Africains entre eux. « Tous les Etats africains du Sahel et les sociétés de la cuvette étaient esclavagistes », affirme l’historien. Selon des chiffres publiés par un chercheur américain, « 7 millions d’esclaves étaient recensés en 1900, dans la seule Afrique occidentale française », rapporte Bernard Lugan. La deuxième traite, celle des arabo-musulmanes « a porté sur 15 à 20 millions de personnes » et s’est étendue de 650 jusque dans les années 1920. « Pour l’Afrique orientale, le seul marché de l’île de Zanzibar a vu passé 1,5 millions d’esclaves« , note l’universitaire qui déplore un discours scientifique peu entendu.
Plus décriée dans le débat public, la traite des Européens débute pourtant plus tardivement, en 1450 pour s’achever en 1869. « Nous avons pourtant des chiffres précis, il y a un consensus chez les universitaires », souligne Bernard Lugan. « 11 millions de personnes sont concernées », rapporte-t-il. « Ces chiffres ne sont pas là pour minorer ou maximaliser l’une ou l’autre traite. Les scientifiques ne blâment pas, ni ne louent, ils racontent », assure l’historien qui déplore « une compétition entre l’émotion et la science ».
Face aux différentes polémiques et demandes de repentances, Bernard Lugan rappelle que « toutes les sociétés au monde ont été esclavagistes ». Mais une originalité se distingue parmi elles. « Les seuls qui ont aboli l’esclavage ce sont les blancs », affirme-t-il. « Aucune société asiatique, africaine, américaine n’a aboli l’esclave », assure l’historien.
Sources : Le Point / Sud Radio / Bernard Lugan