Les retraités sont désignés comme les boucs émissaires des dépenses publiques. Pour réduire celles-ci, rien de plus facile que de ne plus indexer leurs pensions ou d’en retarder l’échéance, ce que propose le gouvernement Barnier en reportant l’indexation sur l’inflation du 1er janvier au 1er juillet, soit 4Md€ de gain pour le budget public.
L’Etat ne respecte pas ses engagements
Pourtant, les retraites françaises, assurées selon un système dit de répartition, relèvent d’une sorte de contrat tacite entre l’Etat, les actifs et les pensionnés. La puissance publique exige des actifs de cotiser à une caisse de retraite qui distribue aussitôt (ou presque) l’argent reçu aux pensionnés.
Les actifs acceptent de cotiser à des niveaux élevés (28% de leur salaire brut, soit un des taux les plus élevés au monde) en échange de la promesse de recevoir ensuite à leur tour les cotisations de leurs successeurs en activité quand ils prendront leur retraite.
Mais alors que la démographie et le nombre d’actifs sont à la baisse tandis que le nombre de retraités augmente significativement par suite d’allongement de la durée moyenne de la vie, les systèmes de répartition sont tous en difficulté.
De plus, l’Etat utilise depuis des lustres les caisses de retraite pour faire de la politique. Il verse aux agents publics des retraites très supérieures (d’environ 40 md€) à leurs cotisations, il prend en charge les déficits des retraites avantageuses accordées dans divers régimes spéciaux (SNCF, RATP, Industries d’électricité et gazières…), il a multiplié les réductions de cotisations retraite (environ 15 Md€) sur les bas salaires…
La conséquence est que les caisses de retraite sont en déficit. Elles ont de plus en plus de peine à verser les pensions dues aux retraités. L’Etat qui assume le tiers (130 Md€ en 2023) de la charge totale des pensions versées aux retraités français et qui de fait est appelé à combler les déficits du système, a trouvé un moyen simple pour réduire sa charge : ne pas respecter ses engagements.
Selon les articles L 161 et suivants du Code de la sécurité sociale, les pensions sont revalorisées chaque année par indexation sur la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac. Mais l’Etat piétine allègrement la loi, en la changeant à sa guise. Bien sûr, comme l’a dit M. Retailleau, quand la loi est mauvaise il faut la changer, ce qui ne s’appelle pas nécessairement une violation de l’Etat de droit. Mais quand l’Etat a pris des engagements, il doit les tenir.
L’une des caractéristiques majeures de l’Etat de droit tient au fait que le droit est respecté par le souverain lui-même. En France, il s’en exonère promptement, ouvrant la voie à l’arbitraire.
Le prétexte de l’égalité
Pour justifier la baisse des pensions, le gouvernement et certains partis ont instillé dans l’opinion l’idée que la justice et l’égalité la commanderaient dès lors que les revenus des retraités seraient en moyenne supérieurs à ceux de la population en âge de travailler. Mais cette assertion est erronée.
Selon le Conseil d’orientation des retraites, en 2019 le total des pensions nettes perçues par les personnes composant le ménage retraité s’élevait à 2 363 € mensuels nets en moyenne contre 3 746 € nets mensuels de revenus d’activité pour les ménages actifs. Ce n’est que par un artifice que le COR, dont il est désormais reconnu que les chiffres ne sont pas toujours fiables (euphémisme !), conclut que les retraités ont des revenus supérieurs.
Certes, ils ont moins de prestations sociales que les actifs (51 euros contre 173 euros), ils acquittent moins d’impôts et de prélèvements (266 euros contre 425 euros), ils ont plus de revenus du patrimoine (407 € contre 257 €), ils ont quelques revenus d’activité ( 313€) alors que les actifs ont moins de pension( 106 €) notamment quand un des membres du foyer est à la retraite. « Au final, reconnait le COR, le revenu disponible des ménages retraités s’élève à 2 700 euros mensuels en moyenne et celui des ménages actifs à 3 627 euros en moyenne en 2019 ».
Il parvient néanmoins à soutenir que « les retraités ont un niveau de vie 1,5 % plus élevé que celui de l’ensemble de la population en 2019 » en retenant le niveau de vie individuel de chacun, les retraités étant plus souvent veufs et sans enfants… évidemment.
D’ailleurs, l’entreprise privée allemande de statistique Statista indique pour 2019 en France des revenus médians de 1.985 euros pour les actifs et de 1.865 euros pour les retraités. Pour sa part l’Insee observait qu’en 2018 les retraités avaient un niveau de vie moyen de 24 880 euros par an, soit 2 073 euros par mois, inférieur de 6 % à celui des actifs.
A la merci de l’Etat
Et même s’ils gagnaient plus que les actifs après une longue vie de travail au cours de laquelle ils ont économisé, en quoi cela serait-il injuste ?
Il est inadmissible que les pouvoirs publics et l’opinion aillent calculer combien chacun gagne et s’autorise à prendre ou approuver des mesures de spoliation des retraités du seul fait qu’ils disposeraient d’un revenu peut-être supérieur à celui des actifs en prenant en compte le revenu de leur épargne acquis à la sueur de leur front ou la valeur locative de leur logement dont ils sont devenus propriétaires au sacrifice de leur consommation courante.
Le plus insupportable est tout simplement qu’ils soient à la merci de l’Etat et de la loi dans l’irrespect des engagements donnés et reçus. Pour échapper à ce despotisme qui naît naturellement de la tentation que l’Etat s’est offerte en créant un système de retraite par répartition dont il peut manipuler les rouages à sa guise, il n’y a qu’une solution durable : transformer le système par répartition en système par capitalisation.
En effet dans un système de capitalisation chacun peut, dans un cadre fixé éventuellement par la loi, verser ses cotisations à des caisses publiques ou privées de son choix. Il reste créancier de la caisse qu’il a choisie au titre des cotisations versées qui y fructifient. Ces caisses ne peuvent pas voler leurs clients sans être sanctionnées, à l’inverse de l’Etat dans un système public de répartition.