Suite aux résultats des référendums organisés dans les régions de Kherson, de Zaporojie, à DNR et à LNR, ces quatres entités territoriales entrent désormais dans la Fédération de Russie. Et elles entrent dans leurs frontières administratives, c’est-à-dire avec une partie du territoire désormais «occupé». Cette décision politique lourde doit entraîner une reconsidération de l’opération militaire en cours : on ne libère pas un territoire national avec une «opération spéciale», tout en restant dans le culte de l’individu-roi. Le conflit risque de changer de configuration et de changer la société.
Les quatre régions libérées par l’armée russe ont organisé un référendum, afin d’entrer rapidement dans la Fédération de Russie. Cette décision lourde de conséquences fait suite à la perte de la région de Kharkov et aux répressions, auxquelles ont été soumis les habitants de la région, accusés par l’Ukraine de collaboration avec l’ennemi. Le premier enjeu de ces referendums étaient donc de ne pas perdre la confiance des populations civiles de Kherson et de Zaporojie, en leur envoyant un message clair : si vous le voulez, vous serez des nôtres.
Ils ont clairement exprimé ce souhait. Selon les résultats officiels :
- LNR : un taux de participation de 92,6% et 97,93% se sont prononcés pour l’entrée dans la Fédération de Russie ;
- DNR : un taux de participation de 97,51% et 98,69% se sont prononcés pour l’entrée dans la Fédération de Russie ;
- région de Kherson : un taux de participation de 76,86% et 96,75% se sont prononcés pour l’entrée dans la Fédération de Russie ;
- région de Zaporojie : un taux de participation de 85,4 % et 97,81% se sont prononcés pour l’entrée dans la Fédération de Russie.
Les chiffres sont élevés et ce n’est pas une surprise. L’Occident estime que le vote est truqué, que les gens ont voté sous la contrainte. Difficile de trouver d’arguments plus absurdes. Cela fait 8 ans que les habitant du Donbass se battent pour entrer dans la Fédération de Russie. Si l’Occident voulait que l’Ukraine récupère le Donbass, il suffisait d’appliquer les Accords de Minsk, qui prévoyaient justement cette option — un Donbass ukrainien, dans un système fédéralisé. Quant aux régions de Kerson et de Zaporojié, ce sont des régions historiquement russophones et n’oublions pas que ceux qui soutenaient l’armée ukrainienne, sont partis avec elle. Quant à ceux qui avaient des doutes, les tirs de l’armée ukrainienne sur ces sites civils ont achevé de les convaincre.
L’occident atlantique ne peut reconnaître ces référendums, car ils incarnent sa défaite politique. Macron s’indigne sur Twitter :
Quelle violation du droit international ? Le droit des peuples à l’autodétermination n’est désormais valable, que dans les configurations favorables à l’Occident ?
Quelle violation de la souveraineté de l’Ukraine ? Seul un Etat peut-être souverain. Or, depuis 2014, grâce à l’intervention atlantiste en Ukraine, ce pays n’est plus un Etat souverain, mais un protectorat atlantiste. L’on rappellera rapidement en ce sens la suspension du Parlement et des juridictions arpès le coup d’état, le nettoyage des fonctionnaires, la fermeture des partis politiques, l’impossiblité pour le système judiciaire d’exécuter les décisions de justice (ce qui fut condamné par la CEDH), le dysfonctionnement chronique de l’Etat et la corruption endémique (ce qui est dénoncé par la Cour budgétaire de l’UE). Il n’y a plus d’Etat en Ukraine. Il ne peut donc par définition pas y avoir de violation de souveraineté.
La reconnaissance ou la non-reconnaissance par l’Occident des résultats des référendums ne change rien à leur réalité juridique et à la vie des gens sur place. Ce qui va avoir une incidence directe, ce sera la capacité pour la Russie de transformer ces actes juridiques en réalité politique.
L’enjeu vient ici des frontières dans lesquelles ces territoires entrent dans la Fédération de Russie. La logique a voulu que, selon les dispositions des accords conclus entre la Russie et ces quatre entités, elles entrent dans leurs frontières administratives (art. 4), c’est-à-dire celles de leur constitution. Logiquement, car ces frontières deviennent aussi celles de l’Etat russe et vous ne pouvez pas déterminer une frontière étatique de manière unilatérale par rapport à une ligne de front, alors changeante. la fixité de la ligne de front supposerait un accord bilatéral et donc la fin du conflit, ce qui est très loin d’être le cas.
Rappelons à ce sujet, que les Etats-Unis prévoient une aide mensuelle d’1,5 milliard de dollars jusqu’à la fin du conflit et appellent les pays européens à en faire autant. Ils préparent donc un conflit conventionnel de grande envergure, devant aller «jusqu’au bout» : soit la défaite militaire de la Russie, sa capitulation et sa disparition comme Etat souverain ; soit la défaite de l’Ukraine, qui entraînera celle du monde «global». Le conflit entre bien dans une nouvelle dimension et prend un caractère existentiel pour les deux parties, la Russie et le monde atlantiste.
Juridiquement, dès que ces accords seront traduits par une modification de la Constitution russe, la Russie aura alors une partie de son territoire national occupé, puisqu’elle ne maîtrise pas toute la région de Donetsk, qu’elle n’a qu’une partie de Zaporojie, que Kherson est sous attaque et certains villages ont été repris hier par l’armée ukrainienne, etc. Cette situation rend caduc le format de «l’Opération militaire spéciale», qui devait permettre de localiser la mise en oeuvre des forces et de préserver une certaine «normalité» dans la vie de la société. Comme l’a justement déclaré Volodine, le président de la Douma (chambre basse du Parlement russe) :
«Volodine a également déclaré que les régions de DNR, LNR, de Zaporojie et de Kherson devraient être complètement libérées dès que possible. Selon lui, il faut tenir compte du fait que les hostilités se poursuivent dans ces territoires.»
En ce sens, la mobilisation partielle est en cours, les mobilisés sont formés avant d’être envoyés se battre sur les territoires libérés. Et ici, il est important de tenir compte du discours produit : soit il s’agit bien d’un combat existentiel, la Patrie est en danger et alors il faut réellement accepter la montée du patriotisme dans la société (ce qui oblige les élites), penser à la reconfiguration des forces économiques et de production et sortir la société de son état «instagramé» depuis 30 ans — et dans cette configration, la Russie reprendra la main ; soit la société ne prendra pas consience dans sa grande majorité des enjeux fondamentaux de ce conflit, parce que les élites auront peur de mettre fin au culte postmoderne de l’individualisme et que jusqu’au bout ils espéreront «passer à travers», attendant l’arrivée du Deus ex machina, qui magiquement résoudra la situation à leur place — et dans cette configuration, la Russie ne trouvera pas la force suffisante pour renverser la tendance du recul, qui se manifeste depuis un mois et est bien le signe d’un problème systémique.
Comme l’écrivait André Maurois dans son Histoire de l’Angleterre :
«C’est le danger des civilisations heureuses, que le citoyen y oublie qu’en dernière analyse, sa liberté dépend de sa valeur militaire.»
Par Karine Bechet-Golovko
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