Daté de plusieurs années, le projet de monnaie unique de 15 pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) peine toujours à se concrétiser. Interrogé par Sputnik, l’économiste ivoirien Segui Boka explique ce qui empêche de mettre en place la nouvelle devise.
Prévu initialement en 2020, le lancement de la monnaie unique Eco a été finalement reporté en 2021 par les 15 pays de la CEDEAO pour 2027. L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui regroupe au sein de la CEDEAO huit pays, dont la Côte d’Ivoire, tient ce lundi 5 décembre sa 23e Session ordinaire à Abidjan. À cette occasion, Sputnik a donné la parole à l’économiste ivoirien Segui Boka qui a donné sa vision du futur de l’Eco.
« Les raisons qui bloquent l’avancement de ce projet sont multiples; tout d’abord il y a le fait que les dirigeants de ces différents États membres ont des points de vue différents sur le sujet, ensuite nous avons le fait que la France a deux représentants au sein de la CEDEAO et, connaissant comment les décisions sont prises, ne soyons pas étonnés que ce projet n’avance pas. Pour ne citer que ces deux raisons parmi tant d’autres », a-t-il expliqué.
Parmi ces raisons, l’exigence du Ghana et du Nigeria que la monnaie unique soit gérée souverainement par les pays membres, soit sans aucune influence de la France et de l’euro.
« Hormis le Ghana et le Nigeria, les 13 autres États membres de la CEDEAO ont leur monnaie imprimée en France à Chamalières et gérée par la banque de France avec parité fixe à l’euro et nous savons que c’est le plus puissant moyen de pression de l’État français sur ces 13 États francophones, et c’est ce qui explique ces exigences du Ghana et du Nigeria qui sont indépendants financièrement. Les chances pour que ces exigences aboutissent sont très minimes, d’autant plus que la plupart des 13 autres États francophones sont au service de la France, les dirigeants de ces États ».
La voie difficile vers l’Eco
Actuellement, la CEDEAO inclut deux organisations distinctes. La première, l’UEMOA, regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Guinée-Bissau. Ces huit pays utilisent le franc CFA. La deuxième, la ZMAO, la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest, est composée du Nigeria, du Ghana, du Liberia, de la Sierra Leone, de la Gambie et de la Guinée (Conakry). Ces pays ne font pas partie de la zone CFA et ont leurs propres devises.
Il était prévu initialement que la ZMAO adopte en janvier 2015 l’Eco en tant que monnaie commune pour fusionner ensuite avec l’UEMOA afin que la CEDEAO ait en 2020 une seule et même monnaie pour l’ensemble de ces pays.
Or, en 2014, les autorités ouest-africaines ont renoncé à ce projet en raison du niveau insuffisant de convergence économique au sein de la ZMAO. Dès lors, la CEDEAO exigeait que les pays voulant participer à la monnaie unique doivent répondre aux critères de convergence dits de premier rang avant 2020. Les critères impliquaient entre autres le déficit budgétaire limité à 3% du PIB, une inflation à 10% maximum et une dette inférieure à 70% du PIB. Fin 2019, seul le Togo a réussi à respecter ces critères.
Cependant, fin décembre 2019, les pays de l’UEMOA ont annoncé leur décision de remplacer leur monnaie commune par l’Eco, le franc CFA étant perçu comme une réalité coloniale héritée de la France. Cette annonce a été faite par le Président ivoirien Alassane Ouattara lors d’une visite de son homologue français Emmanuel Macron à Abidjan.
Mi-janvier, les six pays de la ZMAO ont « noté avec préoccupation la déclaration [de l’UEMOA, ndlr] visant à renommer unilatéralement le franc CFA en Eco d’ici à 2020 ».
En 2021, en raison du choc de la pandémie de Covid-19, les chefs d’État des quinze pays membres de la CEDEAO ont pris la décision de suspendre la mise en œuvre du pacte de convergence en 2020-2021 et ont adopté une nouvelle feuille qui prévoit le lancement de l’Eco en 2027.