Téhéran suit de près les développements entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. Dans son éditorial du 17 mai 2018, Kayhan, l’organe de presse du régime iranien, aborde les pourparlers entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, qui n’aurait selon lui pas l’intention de se débarrasser de ses armes nucléaires, car elles garantissent sa sécurité et la pérennité de son régime.
Dans son éditorial du 26 mai, le journal analyse l’annulation annonçée par le président des Etats-Unis Donald Trump le 24 mai de sa rencontre prévue le 12 juin avec le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, et tente de comprendre les motivations de cette dernière pour entamer des pourparlers avec les Etats-Unis. Considérant que Kim n’a aucune intention de renoncer aux armes ou au missiles nucléaires de son pays, il explique que la destruction par la Corée du Nord, le 24 mai, de plusieurs tunnels nucléaires n’était qu’une concession dépourvue de signification, du fait que le site était déjà obsolète, et que le seul geste accompli par Kim envers Trump était sa libération de trois citoyens américains.
Les articles de Kayhan expriment ouvertement la conception de l’Iran selon laquelle la destruction par la Corée du Nord de ses armes nucléaires équivaudrait à détruire le régime lui-même. Extraits des deux éditoriaux de Kayhan :
Kayhan, 17 mai : « L’existence et le peuple de Corée du Nord dépendent de l’arme atomique et de la puissance militaire »
Extraits de l’éditorial de Kayhan du 17 mai 2018 :
L’existence de la Corée du Nord et son peuple dépendent de cette arme atomique et de sa puissance militaire. Pyongyang n’a aucun doute que sans cette puissance militaire, il aurait depuis longtemps été englouti par l’Amérique. Par conséquent, il est totalement déraisonnable que ce pays accepte un tel risque [à savoir le désarmement nucléaire] et détruise ses armes nucléaires qui dissuadent l’Amérique, dirigée par Trump, qui rompt facilement ses promesses… En outre, Pyongyang sait que détruire cette arme [nucléaire] équivaut à détruire la Corée du Nord…
Kayhan, 26 mai : « La Corée du Nord n’est pas assez stupide pour détruire, de ses propres mains, les fondations de sa puissance contre un pays comme l’Amérique »
Extraits de l’éditorial de Kayhan du 26 mai 2018 :
Il y a plusieurs jours, le dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong-un a libéré plusieurs prisonniers américains et, sous les yeux des journalistes du monde entier, il a détruit les tunnels qui constituaient le site d’essais nucléaires, tenant ainsi sa promesse. Mais Trump a annulé sa rencontre avec Kim et a renouvelé ses menaces de poursuivre les sanctions, ajoutant que l’option militaire était toujours d’actualité…
Le sénateur [Bob] Menendez a critiqué la rupture par Trump de sa promesse [de rencontrer Kim], et souligné que la violation de cette promesse était une victoire pour Kim Jong-un, et que le monde était parvenu à la conclusion que l’Amérique n’était pas fiable…
Cet auteur pense que la Corée du Nord n’est pas assez stupide pour détruire, de ses propres mains, les fondements de sa puissance contre un pays comme l’Amérique, et qu’un dirigeant comme Trump n’est pas assez fou pour accorder facilement des privilèges à quiconque.
Au cours des dernières semaines, des informations ont attesté que le site que la Corée du Nord a bombardé le jeudi [24 mai] était constitué de tunnels qui avaient [déjà] été détruits, après six essais nucléaires très médiatisés, et qui étaient presque obsolètes. Ceux qui ont été invités à assister à l’explosion sur le site n’étaient pas des experts : c’était une poignée de journalistes ordinaires qui ne comprenaient rien de ce qui se passait dans ces trois tunnels. En outre, personne n’a pu prouver que le site qui a été détruit est réellement le seul site d’essais nucléaires de la Corée du Nord. N’oublions pas que le site détruit n’était qu’un site, et non une installation nucléaire ou de missiles balistiques ou autre… Ainsi, la seule chose qu’a fait la Corée du Nord a été de libérer les trois citoyens américains.
De cette perspective, l’on peut analyser l’annulation par Trump de la rencontre avec Kim Jong-un. L’Amérique considère une rencontre avec le dirigeant nord-coréen comme équivalant à conférer un privilège à un Etat qui se croit isolé. Du point de vue de ceux qui travaillent à la Maison Blanche, la pression sur Pyongyang doit être maintenue, car c’est l’un des outils les plus efficaces contre celle-ci. La rencontre de Trump avec le dirigeant de la Corée du Nord peut mettre fin à son isolement et priver la Maison Blanche de l’un de ses outils les plus importants pour faire pression sur [la Corée du Nord]. En ce qui concerne Trump, sa rencontre avec Kim conférerait un privilège spécial à la Corée du Nord, par conséquent, il n’a pas accepté de rencontrer Kim, en dépit du fait que les tunnels avaient été détruits.
La Chine est très importante dans la crise coréenne. Ces jours-ci, la Chine a créé, avec la Russie, une hégémonie qui menace l’Amérique. Par conséquent, la Corée du Nord est considérée comme un outil très important pour la Chine, que la Chine a toujours utilisé contre l’Occident. La Chine ne renoncera jamais de son plein gré à son outil nord-coréen, en particulier si celle-ci se range du côté américain.
C’est une fausse illusion de penser que Trump retirera les sanctions contre la Corée du Nord comme il l’avait promis, et que la Corée du Nord renoncera à sa capacité de dissuasion contre l’Amérique. L’existence de la Corée du Nord dépend de ses missiles balistiques, de ses puissantes bombes atomiques et de sa grande armée… Il est inconcevable que la Corée du Nord abandonne si facilement le seul fondement de sa puissance, et devienne une proie si facile pour l’Amérique.
Il n’existe que trois solutions pour [la Corée du Nord], dans la crise des relations [avec les Etats-Unis] : apaiser la Chine, obtenir des garanties solides de l’Amérique, ou devenir la vache laitière de Trump, exactement comme certains pays arabes arriérés [dans la perspective iranienne, référence à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe].
Il est vrai que Kim Jong-un est jeune et qu’il vient de commencer sa tâche. Mais son pays est parvenu au niveau le plus élevé du savoir-faire nucléaire et des capacités militaires. Ce pays ne peut d’aucune façon être comparé aux pays arabes arriérés, qui sont tous, y compris leurs armées, des mercenaires. Par conséquent, il ne semble pas que ce pays se soumettra, comme l’Amérique l’escompte.
L’expérience du PAGC a très clairement montré que personne ne s’attend à ce qu’un homme comme Trump tienne ses promesses, et encore moins qu’il donne de fortes garanties. Par conséquent, une seule option demeure : la Chine.
La Chine, pays qui rêve de devenir une superpuissance et veut défier l’hégémonie américaine, acceptera-t-elle de perdre un outil aussi puissant [que la Corée du Nord] ? La réponse est claire.
Peut-être Kim mène-t-il ces pourparlers dans un autre but, et non pour les raisons mentionnées, par exemple, pour défier l’Amérique et déclarer que celle-ci enfreint ses promesses et qu’on ne peut lui faire confiance. Ce qui aide Kim à atteindre son objectif est le fait qu’un homme comme Trump [soit président].
Si nous examinons les commentaires des médias une fois que Trump a enfreint sa promesse et annulé sa rencontre avec Kim, nous constatons que, comme Richard Haass, Nancy Pelosi, et le sén. Menendez l’ont déclaré hier, la Corée du Nord a triomphé de l’Amérique, et que le monde a conclu qu’on ne pouvait faire confiance [aux Etats-Unis].