Le raïs turc profite de la fragilité du pays pour étendre son influence. Proche du président Izetbegovic, il joue sur la nostalgie de l’empire ottoman pour asseoir ses nouvelles ambitions géopolitiques, «, ce qui est fou, car Ankara fait beaucoup plus d’affaires avec la Serbie qu’avec Sarajevo », explique l’ancien diplomate Zlatko Dizdarevic. .
[…] Bosnienne, bosniaque ou turque, l’histoire de la Bosnie, plaque tectonique des nationalismes balkaniques, n’aide pas à résoudre la querelle sur son identité ethnique. Elle fut sous domination ottomane pendant cinq siècles avant de passer sous l’Empire austro-hongrois pendant trente ans. Après le bref intermède du royaume de Yougoslavie, après la Première Guerre mondiale, la Bosnie fut communiste jusqu’en 1992. Et la dernière guerre des Balkans n’a rien éclairci. A propos des 8.373 Bosniaques assassinés à Srebrenica, le général serbe de Bosnie Ratko Mladic évoquait « une vengeance contre les Turcs », alors que son mentor génocidaire, Radovan Karadzic, parlait, lui, de « Serbes convertis à l’islam ».
La Bosnie est aujourd’hui composée de deux entités: la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, majoritairement musulmane mais comprenant également une population catholique croate, et la République serbe de Bosnie, peuplée d’orthodoxes. Quelle que soit leur ethnie, les 3,5 millions de citoyens de la Bosnie sont officiellement « bosniens ». Mais seuls 3 % d’entre eux se reconnaissent dans cette appellation. Les catholiques se disent croates, les orthodoxes serbes, tandis que les musulmans se considèrent comme bosniaques.
« Erdogan revendique un droit historique sur tous les Balkans. Il veut islamiser toute la Bosnie au nom de l’umma, la grande communauté islamique, qui va au-delà des nations, poursuit-il. En Bosnie-Herzégovine, il a trouvé un terrain fertile parce que le pays est dévoré par le nationalisme. Les Serbes rêvent d’une grande Serbie sous l’aile de Belgrade et de Moscou. Les Croates se sentent protégés par Zagreb. Ainsi, les Bosniaques cherchent une identité en Turquie. »
En Bosnie-Herzégovine, Erdogan s’appuie sur les mêmes réseaux politiques qu’en Turquie: les élites du SDA, la formation proche de l’AKP, et les populations peu instruites des campagnes. Disséminés dans les campagnes bosniaques, les centres culturels turcs chantent ses louanges. L’agence turque de coopération, Tika, fournit du mobilier aux écoles. Ankara a financé en vingt ans la restauration de 800 monuments ottomans, dont les ponts de Mostar, de Visegrad et de Konjic, la grande mosquée de la vieille ville de Sarajevo ainsi que celle de Banja Luka.
Le FK Sarajevo, l’équipe de football de la capitale, est sponsorisé par Turkish Airlines. La télévision turque a produit une série sur la vie d’Alija Izetbegovic, le président bosniaque durant la guerre de 1992-1995, décrit comme l’héroïque allié éclairé du grand frère turc. Très émus, Recep Tayyip Erdogan et Bakir Izetbegovic, l’actuel président de la Bosnie-Herzégovine et fils du chef d’Etat défunt, ont assisté à la première. Quant aux téléspectateurs bosniaques, ils devront attendre septembre, veille des élections générales, pour y avoir droit. […]