Andreï Melnik est une des figures du nationalisme ukrainien, bien moins connue que Bandera, puisqu’il fut mis en minorité, après un conflit politique qui provoqua la scission de l’OUN, en OUN-B (Bandera) et OUN-M (Melnik). Il avait été pourtant nommé chef de l’OUN (1939), et rêvait de devenir « le Führer » des Ukrainiens. Cependant ses partisans furent en partie exterminés et assassinés par les bandéristes, ses maquis détruits, ralliés ou dissous.
A l’ère contemporaine, la figure plus séduisante (c’est dire !), de Stepan Bandera devait l’éclipser au point qu’il est désormais oublié. L’homme n’avait cependant pas grand-chose à envier à Bandera. Il était même déjà un chef historique des nationalistes ukrainiens durant la Guerre Civile russe, et avait trempé dans les massacres et pogroms de Juifs, de l’armée de Petlioura. Voici l’histoire d’un personnage qui essaya d’être à la place de Bandera, et fut effectivement élu par un congrès nationaliste ukrainien « chef à vie des Ukrainiens ».
Les débuts d’un nationaliste dans l’armée des pogroms de Petlioura. Il naquit en 1890, dans la région de Lvov, dans l’Ouest de l’Ukraine qui était alors une partie de l’empire Austro-Hongrois. Il était issu d’une famille pauvre de paysans, par ailleurs membres de l’église gréco-catholique, toujours très hostiles aux chrétiens orthodoxes.
Il s’enrôla dans l’armée austro-hongroise (1912), entamant en même temps des études d’ingénieur à Vienne, la capitale de l’empire. Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il commanda une compagnie de volontaires ukrainiens qui furent engagés sur le front de l’Est contre les Russes (1914-1916).
Il fut finalement fait prisonnier durant l’offensive de Broussilov (juin 1916), et envoyé dans un camp de prisonnier près de Tsaritsine (qui sera ensuite renommée Stalingrad, puis Volgograd). Il réussit cependant à prendre la fuite (janvier 1917), à l’occasion des troubles des débuts de la Révolution bolchevique et rejoignit Kiev. Il devînt rapidement un officier supérieur de l’armée nationaliste de Petlioura, l’un des premiers dirigeants et général de l’OUNR (éphémère république fondée à Kiev en 1918).
Cette armée se livra à d’horribles pogroms et massacres (entre 80 000 et 120 000 victimes), et fut finalement détruite, notamment par l’invasion de l’Ouest de l’Ukraine par la Pologne (mais aussi la Roumanie et la Hongrie). Devenu un haut-gradé, chef d’État-major, il fut capturé et interné par les Polonais à Rovno (fin 1919). Libéré, il fut envoyé en mission dans la jeune Tchécoslovaquie, à Prague (1920-1921), l’espoir étant d’obtenir des puissances occidentales un soutien dans la formation d’une Ukraine indépendante… La France et l’Angleterre étant des alliées solides de la Pologne, les espoirs ukrainiens furent déçus, la Conférence des Ambassadeurs (1923) enterra ce vain espoir.
Un agent des services secrets nazis. Il se livra immédiatement à des activités subversives contre la Pologne, et tenta de retourner en Galicie, sous contrôle polonais (1922), afin d’y organiser des maquis, des activités clandestines, des sabotages et d’autres actions. Il fut rapidement arrêté par la police polonaise (avril 1924), et condamné à 4 ans de prison (1924-1928). Libéré de nouveau, il entama une ascension politique dans le mouvement nationaliste ukrainien : membre du conseil d’une maison d’édition luttant pour la promotion de langue ukrainienne (1932-1938), Président de la plus importante des associations de Gréco-catholiques (1933-1938), membre de l’Union des anciens combattants ukrainiens, l’un des cadres, puis président du sénat de l’organisation politique nationaliste de l’OUN (1934-1938). Il devînt l’une des plus grandes figures de ce mouvement. Il participa à l’organisation d’actions dans les universités, de manifestations, de coups de main, d’assassinats et d’attentats contre les Polonais, ou des Ukrainiens considérés comme « traîtres ».
Après le démembrement partiel des organisations clandestines par les Polonais (OUN et UVO, l’armée insurrectionnelle secrète ukrainienne), il réussit contrairement à Bandera à prendre la fuite et à se cacher. Enfin, il devînt le chef nominal de l’OUN à la veille de la Seconde Guerre mondiale (27 août 1939). Il avait été recruté de longue date par l’Allemagne nazie, et était un agent de l’Abwehr, les services secrets de la Wehrmacht. Admirateur de Mussolini, comme Bandera, se définissant comme « fasciste et nationaliste ukrainien », il était toutefois sceptique et critique vis à vis du nazisme, tentant toutefois d’utiliser l’Allemagne pour atteindre l’indépendance de l’Ukraine.
Il essaya vainement d’obtenir de son chef, l’amiral Canaris, d’être nommé « chef du peuple ukrainien », après la libération des territoires de l’Ouest de l’Ukraine. Ayant échoué, il fut dépassé par sa droite par Stepan Bandera, figure plus radicale et agressive, ce qui provoqua la scission de l’OUN (1940). Cependant, il s’engagea, et avec lui tout le mouvement nationaliste ukrainien, dans la collaboration avec l’Allemagne nazie. Il fit préparer une constitution pour le futur État ukrainien, et mit à disposition d’Hitler ses partisans, des agents, saboteurs et supplétifs de police (1939-1942). Il fit même un appel à Adolf Hitler pour proclamer l’indépendance de l’Ukraine lors de l’opération Barbarossa, se trouvant alors à Berlin (été 1941).
L’ennemi de Stepan Bandera. Il poursuivit sa collaboration avec les nazis, les troupes ukrainiennes sous ses ordres, étant toutefois dissoutes pour être intégrées dans les bataillons de police supplétive du SD (Service de sécurité de la SS, 1941-1942). N’ayant pas participé à la proclamation unilatérale des Ukrainiens (liés à Bandera), d’une Ukraine indépendante (été 1941), il ne fut pas inquiété et resta au service des Allemands.
Cependant, la guerre sourde et ouverte l’opposant à Bandera prit une tournure sanglante. Les partisans de Bandera fondèrent l’UPA (octobre 1942), et entreprirent de liquider et assassiner les partisans de Melnik, s’attaquant même à ses maquis, qui furent massacrés. Après avoir longuement végété à Berlin, ayant émis des critiques envers l’Allemagne, il fut arrêté par la Gestapo (26 janvier 1944). Son emprisonnement ne dura pas, il fut bientôt libéré ainsi que Bandera (arrêté en 1941), avec mission de rassembler toutes les forces ukrainiennes pour résister à l’avance de l’Armée Rouge (octobre 1944). Il accepta de jouer la carte hitlérienne, sans doute contraint et forcé contrairement à Bandera.
Il prit finalement la fuite de la capitale de l’Allemagne nazie devant l’avance des Soviétiques (printemps 1945). Après quelques aventures, il put rejoindre le Luxembourg où il s’installa. Bien qu’affaibli par les manœuvres de Bandera, il réussit à se faire élire « chef à vie des nationalistes ukrainiens » (1947), dans un congrès. Après l’assassinat de Bandera (1959), il resta le chef incontesté et rêvait de fonder un Congrès mondial ukrainien, lorsqu’il mourut à Clairvaux en 1964. Le fameux congrès fut fondé trois ans plus tard. Malgré l’apparence de sa victoire finale, et le fait qu’il fut considéré comme le vrai chef de l’OUN de 1939 à sa mort, le « Führer à vie des Ukrainiens » fut par la suite détrôné par son ennemi de toujours : Bandera.
Plus extrémiste, plus jeune, plus audacieux et actif, Bandera avait aussi le triple avantage d’avoir participé à la déclaration d’indépendance ratée de 1941, d’avoir été l’idéologue et quasiment le chef de l’UPA, et enfin d’avoir ceint la couronne du martyr par son assassinat. De fait, Melnik, dont les partisans passaient pour des modérés, avaient été pour l’essentiel massacrés par les bandéristes. Ce furent eux, qui du Canada, en passant par les USA et les exils de la diaspora créèrent les mythes et l’image patriotique et nationale de Bandera (de 1959 jusqu’aux 2 Maïdan). Après la réussite du premier Maïdan (hiver 2004-2005), le gouvernement de Iouchtchenko avait émis l’idée de transférer les dépouilles de Bandera et Melnik en Ukraine (2006).
Le projet tomba à l’eau, mais Bandera lui fut réhabilité (ce qui provoqua un tollé international de protestations, 2008). Melnik sombra alors dans les oubliettes de l’histoire. C’est en scandant son nom et celui de l’assassin de la Shoah par balles, Roman Choukhevytch, que la « révolution de la dignité » du second Maïdan (hiver 2013-2014), se fit sans lui. Aujourd’hui, ce sont les slogans bandéristes qui sont lancés par les soldats et citoyens zombifiés de l’Ukraine (salut bandériste dans l’armée, cris bandéristes et leurs réponses, culte des morts, etc.). Ces slogans, ne riez pas, ont été repris jusqu’à des proches du Président Macron…