Si la zone euro éclatait, «la France serait avec les pays du sud»

Les fortes divisions existantes entre pays du nord et du sud de la zone euro reviennent sur le devant de la scène. Les différences de conception sur la nature à donner au plan de relance de Bruxelles pour lutter contre la crise économique rendent possibles un éclatement de la zone euro. L’économiste Gérard Lafay analyse la situation pour Sputnik.

«L’opposition entre le nord et le sud de la zone euro est plus forte que jamais.»

Gérard Lafay, professeur émérite en sciences économiques, sent bien que la situation est plus que délicate au sein de l’Union européenne. Les européistes se sont-ils un peu trop vite enthousiasmés?

La présentation d’un vaste plan de relance d’un montant de 750 milliards d’euros par la Commission européenne les avait conquis. Le pro-européen journal Le Monde l’avait même qualifié de «chance historique pour l’Europe», dans un édito convoquant l’esprit de Jean Monnet.

Mais la nature inédite de ce plan, qui prévoit des emprunts au nom de l’Union européenne, a refroidi plusieurs pays du nord, notamment les «quatre frugaux» que sont les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark.

Le fait que ce plan vienne «abonder le budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027, qui représente quelque 1.100 milliards d’euros, sur lequel les Européens doivent également trouver un accord», comme le rappelle Le Monde, rend la situation d’autant plus délicate.

Des réformes structurelles en contrepartie?

La forte place accordée aux subventions (500 milliards d’euros) par rapport aux prêts (250 milliards) crispe du côté des «frugaux». Le 9 juin, Matti Vanhanen, le nouveau ministre finlandais des Finances, a rappelé l’opposition de son pays au plan proposé par la Commission. Helsinki souhaite en réduire le montant et remplacer les subventions aux États, que l’ensemble des 27 devrait payer, par des prêts que seuls les pays bénéficiaires devraient rembourser.

«La question est de savoir dans quelle mesure le plan de relance de l’UE reposera sur des mesures au niveau européen et sur des mesures nationales, et il s’agit ici de trouver un équilibre approprié entre les deux», a notamment lancé Matti Vanhanen.

Le 9 juin s’est tenu un nouvel Ecofin, la réunion des ministres des Finances de la zone euro. Le plan de relance de la Commission a occupé la plus grande part des débats et les pays du nord ont rappelé leur opposition. Gernot Blümel, représentant de l’Autriche, a jugé la proposition de Bruxelles «inacceptable, que ce soit en termes de montants ou de contenus».

Pour Gérard Lafay, ce plan serait également préjudiciable à la France:

«La France toucherait moins que certains de ses voisins, en cotisant beaucoup. Cela serait un mauvais calcul pour Paris.»

Autre point d’achoppement: la conditionnalité des aides. Plusieurs pays du nord de l’Europe réclament que les sommes allouées dans le cadre du plan de relance obligent les bénéficiaires à mettre en place des réformes structurelles.

L’Italie ou l’Espagne refusent catégoriquement, craignant de se retrouver dans la situation de la Grèce lors de la crise de la dette, quand Athènes s’était retrouvé sous tutelle de la «troïka», composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international.

En échange de plusieurs plans d’aide, la Troïka avait exigé de la Grèce qu’elle mette en place des réformes structurelles qui ont eu pour effet de déclencher une crise sociale d’ampleur et une considérable augmentation de la pauvreté.

Cette opposition entre des pays du nord tenant de l’orthodoxie budgétaire et des pays du sud qui en ont une conception moins rigide n’est pas nouvelle. La pandémie de coronavirus l’a simplement remise en lumière.

Cependant, la violence inédite de la crise rend possible une division de la zone euro. Le sentiment anti-européen monte dans plusieurs pays du sud de l’Europe, notamment en Italie, où beaucoup de citoyens ont vécu l’attitude de l’Europe durant la crise comme un manque de soutien.

Une division inéluctable?

«Le risque est élevé. Est-ce que nous nous dirigeons vers une division en deux ou vers une sortie de l’euro de certains pays? À titre personnel, je souhaite l’éclatement de la zone euro, car son fonctionnement est très préjudiciable à la France», analyse Gérard Lafay.

L’Allemagne jouera forcément un rôle central dans la suite des événements. Pour le journaliste Nader Allouche, le fait que l’Allemagne a accepté des emprunts au nom de l’Union européenne ne signifie pas qu’elle souhaite plus de fédéralisme, mais qu’elle a joué la carte du Président Macron afin de préserver ses intérêts en France.

Il a livré son analyse dans une tribune intitulée «L’Allemagne ne veut pas d’une Europe fédérale et se prépare à la division de la zone euro», publiée dans Valeurs actuelles: «Angela Merkel a accepté de se prêter au jeu de communication du Président Macron, en signant une déclaration franco-allemande illusoire, dont elle ne peut apporter aucune garantie, puisque dans son propre pays, la chancelière a les mains liées par le système fédéral et parlementaire.

Mais le chef d’État français a joué la carte de la menace populiste, s’appuyant sur des sondages créditant Marine Le Pen de 45% des voix au deuxième tour de l’élection présidentielle, si elle avait lieu en ce moment.»

La popularité d’Angela Merkel sera décisive pour la suite, selon Gérard Lafay:

«Angela Merkel jouissait d’une popularité en baisse dans son pays avant la crise. Sa gestion lui a permis qu’elle remonte un peu. Les Allemands ont mieux géré que les Français, car ils avaient plus de moyens pour faire face à la pandémie. Ils seront également moins touchés économiquement. Pour la France, l’impact économique sera catastrophique.»

Berlin est dans une situation compliquée, estime l’économiste. Il note que l’Allemagne, malgré son habituelle tendance à l’orthodoxie budgétaire, «est plus du côté de l’Europe fédérale sur le plan politique et il faut souligner que Berlin ne souhaite pas la disparition de la zone euro, car l’Allemagne en profite». «Elle est donc un peu coincée», ajoute-t-il, avant de poursuivre:

«La situation est d’autant plus délicate pour Berlin que la réputation de l’Allemagne au sein des pays du sud est mauvaise, car ils sont la sensation que Berlin ne veut pas les aider.»

Quid de la France en cas de division nord-sud de la zone euro?

«La France serait avec les pays du sud. Tout d’abord, ils sont ceux qui ont le plus souffert économiquement des conséquences de l’épidémie de coronavirus. Déjà, avant le Covid-19, les pays du sud de l’Europe étaient plus en difficulté économiquement que ceux du nord. Objectivement, la France est plus proche des pays du sud de l’Europe. Maintenant, reste à savoir ce que déciderait Emmanuel Macron qui fonce sur l’autoroute du fédéralisme», explique Gérard Lafay.

Selon le docteur en économie, il existe «un risque clair» d’éclatement de l’euro: «Il est d’autant plus fort que la décision de la cour de Karlsruhe risque de remettre en cause le fonctionnement de la zone euro.»

Les discussions entre les 27 promettent d’être longues et animées. Prochaine étape? Le sommet européen des 18-19 juin.

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