Dans son édito pour Russeurope Express, Jacques Sapir se penche sur le nouvel essai de son invité Yves Perez, consacré aux politiques économiques protectionnistes à travers l’histoire. Un ouvrage qui, à l’image des pratiques qu’il décrit, entre en résonance avec l’actualité de la pandémie de Covid-19.
Un édito de Jacques Sapir à retrouver en podcast dans l’émission Russeurope Express du 6 avril.
En ces temps d’épidémie et de confinement, la meilleure chose que l’on puisse faire, c’est de lire. Et certains livres sont comme des bouffées d’air frais. Il en est ainsi de l’ouvrage que l’économiste Yves Perez, professeur émérite de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, a fait paraître au début de l’année: Les Vertus du protectionnisme (L’Artilleur, 2020).
Le livre d’Yves Perez est assez iconoclaste en son genre. Pensez donc, écrire sur les vertus du protectionnisme! Peu de gens l’oseraient aujourd’hui. Oui mais voilà, Yves Perez est un économiste avec une immense culture, fruit justement de nombreuses lectures et d’une curiosité sans cesse en éveil.
Il a construit son ouvrage à partir d’une grande quantité de sources et développe une idée qui, pour être à contre-courant, n’en est pas moins fort profonde: le protectionnisme, qui n’est nullement l’autarcie, a été pendant près d’un siècle pour l’économie française un mode efficace de gestion des crises.
Un instrument au service du changement
Au cœur de cette idée, une démonstration rigoureuse que le protectionnisme ne fut pas une alternative au changement mais au contraire un instrument de celui-ci. De même, Yves Perez démontre que le protectionnisme ne ralentit pas la croissance, mais souvent l’encourage et lui permet de se déployer bien mieux que le libre-échange.
La démonstration commence par une analyse de l’ensemble des chocs et des crises que l’économie française a dû affronter depuis les années 1860. Liste longue, bien entendu, mais dans laquelle Yves Perez met en lumière la ressemblance de certains de ces épisodes avec des chocs de ces dernières années. La politique économique a dû sans cesse s’adapter, et le protectionnisme lui a offert des instruments efficaces.
L’auteur poursuit alors sa démonstration par une étude fine du rôle joué par la stratégie protectionniste dans la gestion des crises. Il montre que cette stratégie, qui s’oppose frontalement à une stratégie de libre-échange et de mondialisation, permet en réalité aux gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, de faire évoluer l’économie et de la rendre mieux capable d’affronter les nouveaux défis.
Le point est important. On l’a dit, le protectionnisme n’a pas été synonyme de stagnation ou de passéisme, bien au contraire. L’une des raisons est sans doute son intégration dans une stratégie globale de l’État.
Une autre raison est que le protectionnisme, en garantissant la continuité de certaines institutions, en constituant par lui même une de ces méta-institutions qui encadre une économie, a permis l’émergence d’un mode de régulation relativement spécifique à l’économie française.
Le point est important. Les économistes qui pensent en termes de modes de régulation décrivent en général des systèmes communs à plusieurs pays. Yves Perez s’intéresse, lui, aux continuités de longue durée dans l’économie française. Il montre que le système protectionniste permet une répartition originale des gains et des pertes entre acteurs économiques.
Ruse de l’histoire?
Il est alors intéressant de se pencher sur les chapitres où Yves Perez analyse les ressorts de la productivité de l’économie française, une économie caractérisée par une faiblesse d’avantages comparés. Faiblesse que le protectionnisme, justement, a très bien su compenser.
La crise actuelle, issue d’une crise sanitaire, repose les questions fondamentales de l’arbitrage entre protectionnisme et libre-échange. Emmanuel Macron a défendu le 31 mars l’idée que la France puisse redevenir indépendante pour certaines productions.
Très clairement, et même si une indépendance totale, autrement dit une capacité d’autarcie, n’est pas nécessairement souhaitable, le niveau de dépendance actuelle, issu du libre-échange et d’une doctrine économique «mondialiste», n’est plus tolérable. Ruse de l’histoire, et si c’était un virus venu de Chine qui nous ramenait aux pratiques du protectionnisme?
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